Le Supplément au voyage de Bougainville est un conte philosophique écrit par Denis Diderot, un auteur français, en 1776. Il a été publié pour la première fois en 1796 dans un recueil d’opuscules, la plupart posthumes ou inédits. Le texte se présente comme une suite au Voyage autour du monde de Louis-Antoine de Bougainville et fait partie d’un triptyque de contes moraux rédigés par l’auteur des Lumières en 1772. Il a été utilisé comme inspiration pour la pièce de théâtre Le Supplément au voyage de Cook de Jean Giraudoux.
Résumé détaillé chapitre par chapitre de Supplément au voyage de Bougainville de Denis Diderot
CHAPITRE 1 – JUGEMENT DU VOYAGE DE BOUGAINVILLE
Deux personnages A et B attendent que le brouillard se dissipe pour pouvoir poursuivre leur voyage. Pendant cette attente, l’un des personnages, B, lit un livre intitulé Voyage autour du monde écrit par le célèbre navigateur Bougainville, ainsi qu’un supplément à ce récit. L’autre personnage, A, n’a jamais lu le livre et demande à B de lui en parler. B explique à A les différentes étapes du voyage autour du monde effectué par le célèbre navigateur dont ils parlent.
L’expédition des navires La Boudeuse et L’Etoile a rencontré de nombreuses difficultés, notamment la lutte contre les éléments naturels tels que les tempêtes et les vagues.. Les membres de l’expédition ont également dû faire face à des problèmes de santé, tels que les maladies et les infections, et ont dû rationner leurs provisions de nourriture et d’eau. La navigation à cette époque n’était pas facile et impliquait souvent de surmonter de nombreux défis, et ce, même au Siècle des Lumières.
A manifeste de l’intérêt pour le Supplément au voyage de Bougainville et B encourage sa lecture en évoquant différents faits relatés dans d’autres récits de voyage, tels que l’expansion coloniale des Jésuites au Paraguay, les rumeurs de géants en Patagonie, la sagesse et la qualité de vie des habitants des îles du Pacifique, et l’histoire d’Aotourou, un Taïtien qui a accompagné Bougainville en métropole. B explique à A qu’il pourrait en savoir plus s’il lisait le Supplément au Voyage de Bougainville. A lui demande où il pourrait le trouver, B lui dit qu’il y a un exemplaire sur leur table. A souhaiterait que B lui prête, mais ce dernier ne veut pas. En revanche, il accepte de le lire avec lui.
CHAPITRE 2 – LES ADIEUX DU VIEILLARD
Un vieillard indigène de quatre-vingt-dix ans reproche aux habitants de l’île d’être tristes à l’idée du départ des Français et considère ces derniers comme des envahisseurs. Selon lui, leur visite ne devrait pas être source de joie mais plutôt d’inquiétude, car il craint que les voyageurs ne corrompent son peuple avec leurs mœurs différentes et néfastes lorsqu’ils reviendront.
Le vieillard parle à Bougainville en le qualifiant de “chef des brigands”, et lui explique que l’influence de son équipage sur les “Taïtiens” est néfaste. Selon lui, le bonheur “édénique” des insulaires est perturbé par la civilisation européenne. Le vieux “Taïtien” espère la mort de Bougainville et de son équipage sur le chemin du retour afin de préserver la découverte de Tahiti. Le vieillard réalise un discours en faveur de la vie sauvage des insulaires face aux avancées de la civilisation de la civilisation de Bougainville.
Bougainville a effectivement eu une entrevue avec le vieux “Taïtien”*, mais il n’a pas voulu la retranscrire en raison de l’hostilité de cet échange. A comprend bien pourquoi il a préféré le supprimer. B explique A que ce qui suit risque de moins l’intéresser mais A veut savoir. B lui apprend qu’il s’agit d’un entretien de l’aumônier de l’équipage avec un habitant de l’île.
B parle également d’un épisode où l’un des domestiques de Bougainville appela à l’aide parce que des “Taïtiens” étaient en train de le déshabiller. Il s’avéra que ce domestique était une femme du nom de Barré. Cette femme de vingt-six ans, née en Bourgogne, “ni laide, ni jolie” s’était déguisée en homme pour prendre part au voyage. D’un seul coup d’œil, les “Taïtiens” ont compris que c’était une femme.
* ”taïtiens” est orthographié comme cela dans le Supplément au voyage de Bougainville.
CHAPITRE 3 – L’ENTRETIEN DE L’AUMÔNIER ET D’OROU
Orou, un taïtien, propose à l’aumônier de l’équipage d’offrir sa femme ou l’une de ses trois filles, Asto, Palli ou Thia pour la nuit. Cela fait partie des mœurs tahitiennes. Orou préfère que l’aumônier choisisse Thia, sa fille cadette, qui, âgée de dix-neuf ans, n’a toujours pas d’enfant. Dans un premier temps, l’aumônier refuse mais il finit par céder à Thia qui l’implore de passer la nuit avec lui.
Le lendemain matin, Orou souhaite en savoir plus sur ce qu’est “la religion”. Un discours théologique commence entre ces deux hommes qui ont une trentaine d’années. L’aumônier parle de la conception chrétienne du monde et de Dieu comme étant tout-puissant et éternel. Il aborde également la question du Bien et du Mal et présente le Dieu chrétien comme un être moralisateur.
Orou est perplexe et soutient devant l’aumônier que cette vision de Dieu, en tant qu’être moralisateur, n’est ni conforme à la nature ni à la raison. Selon Orou, les lois et règles qui régissent la civilisation occidentale n’ont aucun sens, et les injonctions morales, sociales et juridiques ne signifient rien.
Orou partage son point de vue sur les différences entre la civilisation européenne et la sienne. Selon lui, dans une union, le culte de la maternité est considéré comme primordial. La richesse d’une communauté réside dans ses enfants. En effet, plus une femme a d’enfants, plus elle honore l’homme avec lequel elle se mariera. De plus, les rituels sont importants pour maintenir la cohésion du groupe comme l’explique Ourou lorsqu’il parle des hommes et des femmes qui arrivent à “une maturité propre à concevoir des désirs, à en inspirer et à les satisfaire avec utilité”.
A souhaite que B lui rappelle l’histoire de Polly Baker qui a donné un discours pour dénoncer l’hypocrisie des hommes qui séduisaient des femmes puis les abandonnaient et les condamnaient. Son discours met en lumière les remords du séducteur et dénonce les inégalités de genre dans la justice.
L’aumônier a du mal à comprendre la pratique courante de la liberté amoureuse chez les Tahitiens. En effet, pour ces derniers, la procréation est au cœur de tous les rituels de la communauté. De plus, les Taïtiens n’hésitent pas à coucher avec leurs enfants ou avec leurs parents. L’aumônier lui explique que dans sa civilisation, cela s’appelle “l’inceste” et que c’est “tabou”. Orou lui demande alors si le “grand ouvrier” a créé plusieurs hommes et plusieurs femmes d’un coup. L’aumônier lui répond que non, alors Orou tente de lui faire comprendre qu’à l’aube de sa civilisation, il a pu ou il y a eu forcément de l’inceste. L’aumônier ne veut pas le comprendre. Ce dernier apprend également à Orou que les Hommes d’Église, homme comme femme, doivent être chastes. Encore une fois, pour Orou, cela est totalement contraire à la nature ainsi qu’à la raison.
L’aumônier passera les nuits suivantes avec Palli, puis Asto et puis la femme d’Orou.
CHAPITRE 4 – SUITE DU DIALOGUE
A et B approuvent les mœurs tahitiennes et finissent par conclure que les sociétés occidentales ont échoué en empêchant les hommes de vivre selon les lois naturelles. Ils soutiennent que la morale et la religion sont les principales causes de la misère des Européens et que celles-ci ont amené l’homme occidental a perdre son état naturel idyllique.
Présentation des personnages
Les personnages A et B sont les personnages principaux de ce conte philosophique. Ce sont deux philosophes européens qui discutent de leur vision d’un monde idéal, inspiré par la lecture du Supplément au voyage de Bougainville, qui décrit Tahiti comme un endroit où l’état de nature n’a pas été corrompu par la civilisation occidentale. Ils imaginent une société utopique où les hommes peuvent vivre selon les lois de la nature sans être entravés par les conventions morales et religieuses imposées par la société occidentale. Nous ne savons absolument pas à quoi il ressemble puisqu’aucun détail n’est mentionné. Néanmoins, nous savons qu’ils attendent que le brouillard disparaisse pour reprendre leur voyage. Nous savons également que B est celui qui possède le Supplément du voyage de Bougainville et que A est intéressé pour en apprendre plus Au départ, A semble moins informé ou expérimenté que B, car il pose des questions et dépend de l’expertise de B pour diriger la discussion..
Le vieillard est l’un des chefs indigènes de l’île. Il apparaissait déjà dans le récit de Bougainville et se montrait totalement indifférent lorsque les Européens sont arrivés sur ses terres. Dans Supplément au voyage de Bougainville, il parle avec l’éloquence d’un Européen pour témoigner son opposition concernant la colonisation. Pour lui, la disparition des Européens est une aubaine et il espère qu’ils trouveront la mort pour que son île soit préservée. Dans le cas contraire, il sait qu’ils reviendront puisqu’ils sont arrivés en décrétant que cette terre leur appartenait.
L’aumônier du Supplément au voyage de Bougainville est une invention de Diderot. Même s’il y avait un aumônier lors de l’expédition de Bougainville, celui-ci est totalement différent. Cet aumônier d’une trentaine d’années est dépeint comme un personnage simple et crédule, qui est facilement convaincu par l’éloquence d’Orou, un des personnages principaux du conte philosophique. Cependant, il montre également sa capacité à s’adapter à la situation en devenant “moine en Europe et sauvage à Otaïti“. Il est donc capable d’adapter ses comportements et ses valeurs différents selon les contextes culturels dans lesquels il se trouve.
Orou est un personnage inspiré par Aotourou, un Tahitien amené en Europe par Bougainville. Dans l’oeuvre de Diderot, Orou est un maître de la rhétorique qui défend des idées similaires à celles de l’auteur, telles que la critique de l’Église et de la religion, la défense du bien général au-dessus du bien particulier, l’argumentation en faveur de l’état de nature, la critique des préjugés et des contradictions de la société européenne. Cependant, contrairement au vieillard, Orou est un homme enclin au dialogue.
Polly Baker est un personnage inventé par Benjamin Franklin pour défendre les jeunes femmes qui ont été séduites et ont été condamnées par la loi pour leur “mauvaise conduite“. Dans le livre, elle joue un rôle secondaire mais montre comment cette loi est néfaste pour les individus et pour l’État. Son histoire met également en contraste la civilisation saine de Tahiti avec les erreurs de la civilisation occidentale.
Analyse de l’oeuvre
La composition du conte philosophique
Supplément au voyage de Bougainville de Diderot est divisé en cinq chapitres. Il y a 25 pages de dialogue entre A et B, 25 pages d’échanges entre l’aumônier et Orou ainsi que 15 pages de monologues individuels du vieillard et de Polly Baker. La composition du conte philosophique est donc équilibrée en termes de longueur de chaque partie.
Dans la première partie du conte, A et B échangent des banalités. B mentionne qu’il passe son temps à lire le Voyage de Bougainville. La conversation dérive sur les jésuites en Paraguay et la colonisation, ainsi que sur Aotourou à Paris. En fin de chapitre, A et B décident de lire le Supplément du voyage de Bougainville ensemble.
Dans la deuxième partie, B lit à A un discours d’un des chefs de l’île dans lequel il exhorte les Otaïtiens à pleurer. B lit également à A un entretien entre l’aumônier de l’équipage et Orou, un habitant de l’île.
Dans la troisième partie, B poursuit l’entretien entre l’aumônier et Orou où ce dernier lui demande d’honorer sa plus jeune fille, qui n’a toujours pas d’enfants, en couchant avec elle. Il y a également un intermède où A souhaite que B lui rappelle l’histoire de Polly Baker.
La partie quatre n’a pas de nom. Elle poursuit le dialogue entre l’aumônier et Orou où ce dernier parle des mœurs à Otaïti (inceste, adultère, rituels, cérémonies…) qui dépasse l’entendement d’un être civilisé tel que l’aumônier.
Dans la partie 5, B mentionne différents codes qui régissent les comportements humains, tels que le code de la nature, le code civil et le code religieux, et comment ces codes peuvent influencer des aspects tels que le mariage, la galanterie, la fidélité, la jalousie et la pudeur. B cite également Orou et ses idées sur les causes de la société pervertie. A et B évoquent également la distinction entre l’homme naturel et l’homme artificiel et la limite entre le bonheur et le malheur. Ils abordent également la relation entre la nature et les lois, ainsi que le rôle des femmes dans ces domaines.
Différents débats
Les personnages dans Supplément au voyage de Bougainville ne sont pas présentés comme des individus complexes avec une histoire et une psychologie détaillées, mais plutôt comme des incarnations de différents rôles ou idées. Ils sont utilisés pour représenter et explorer les débats importants du Siècles des Lumières, plutôt que pour raconter une histoire en soi. Parmi ces débats on retrouve :
La liberté sexuelle, le mariage et la morale sont des sujets de débat qui ont été abordés dans de nombreux romans libertins du XVIIIe siècle. Ces ouvrages ont souvent mis en question les normes et les valeurs traditionnelles en matière de sexualité, de mariage et de morale, en proposant des idées alternatives et parfois controversées. Certains de ces romans ont défendu l’idée que la liberté sexuelle était une chose importante et que les individus devraient avoir le droit de choisir avec qui et comment ils avaient des relations sexuelles. D’autres ont soutenu que le mariage devrait être basé sur l’amour et le consentement plutôt que sur des considérations sociales ou économiques. Enfin, certains ont proposé de nouvelles approches de la morale et de la vie en société qui remettent en question les conventions et les préjugés de l’époque.
L’intérêt pour l’éducation et le bien-être des enfants en tant que personnes est un sujet qui commence à devenir important au Siècle des Lumière. Cette préoccupation est clairement illustrée dans le livre de Rousseau L’Émile, qui traite de l’importance de l’éducation des enfants et de leur place dans la société.
Le thème de la propriété et du partage qui est un sujet qui a beaucoup intéressé l’époque des Lumière et qui a été abordé par Rousseau dans son ouvrage intitulé Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes. En effet, dans ce livre, Rousseau s’interroge sur les origines de l’inégalité sociale et sur les moyens de la combattre. Il suggère que la propriété privée et l’accumulation des richesses sont à l’origine de l’inégalité et qu’il est nécessaire de trouver des moyens de partager les biens de manière équitable pour établir une société plus juste.
Les méfaits de la colonisation où cette dernière a été une période durant laquelle de nombreux pays ont été conquis et exploités par des puissances coloniales européennes. Cela a entraîné de nombreux méfaits pour les peuples colonisés, notamment la perte de leur indépendance, la destruction de leur culture, l’exploitation de leurs ressources naturelles et la répression de leurs mouvements de résistance. Diderot a abordé ce sujet dans son ouvrage Histoire des Deux Indes, dans lequel il critique les abus et les injustices commis par les colonisateurs européens et défend les droits des peuples colonisés.
L’état de nature et la société ont suscité de nombreux débats. Voltaire et Rousseau ont des avis différents sur le rôle de la société dans la vie de l’homme. Voltaire considère que la société est bénéfique pour l’homme, tandis que Rousseau pense qu’elle a tendance à le pervertir. Quant à Diderot, il met en lumière le paradoxe des lois qui sont imposées à l’homme dans la société.
La religion où l’ouvrage de Diderot tend à suggérer que la religion et ses pratiques peuvent être néfastes pour l’individu, la société et le bien général, car elles vont à l’encontre de la nature humaine et peuvent entraîner des comportements et des croyances qui nuisent à la vie de l’individu et de la collectivité. Cela peut être le cas lorsque la religion promeut des idéologies ou des pratiques qui sont en contradiction avec les valeurs de l’individu ou de la société, ou lorsqu’elle s’oppose à la recherche de la vérité et de la raison. Toutefois, il est important de souligner que cette perspective est subjective et que d’autres personnes peuvent avoir une opinion différente sur la religion et ses effets sur l’individu et la société.
Le bonheur est un sujet de discussion important de l’époque des Lumières, en particulier dans les écrits de Madame du Châtelet (Discours sur le bonheur). Dans Supplément au voyage de Bougainville, il est lié à l’idée de l’état de nature et de l’utopie de Tahiti, où les lois de l’Europe sont considérées comme étant contradictoires et empêchant les gens d’être heureux. L’idée est que dans l’état de nature, l’homme peut être heureux de manière plus authentique et naturelle, alors que dans la société civilisée, les lois et les obligations peuvent empêcher cela.
Le Bon Sauvage est un thème qui a été exploré par de nombreux auteurs, notamment par Montaigne et Voltaire. Selon cette perspective, le Bon Sauvage est un être humain qui vit de manière simple et naturelle, loin des influences de la société et de la civilisation. Il est souvent présenté comme étant plus vertueux et moralement supérieur aux individus qui vivent dans des sociétés complexes et civilisées. Dans son ouvrage L’Ingénu, Voltaire s’intéresse à cette idée du Bon Sauvage et s’interroge sur la nature humaine et sur la manière dont la société peut influencer nos comportements et nos valeurs. Il suggère que le Bon Sauvage, qui vit en harmonie avec la nature et qui est libre de toute contrainte sociale, est capable de réaliser son plein potentiel et de vivre de manière heureuse et épanouie.