Double assassinat dans la rue Morgue est une nouvelle américaine écrite par Edgar Allan Poe et publiée en 1841 dont l’histoire se déroule à Paris. Elle connaîtra un grand succès en France 15 ans après sa publication aux Etats-Unis, lorsqu’elle sera traduite par Charles Baudelaire dans le recueil Histoires Extraordinaires. Résumé, Présentation des personnages, analyse de cette nouvelle, explorons ensemble cette nouvelle d’un nouveau genre d’un grand auteur américain.
Résumé détaillé de Double Assassinat dans la rue morgue d’Edgar Allan Poe
Doubles meurtres dans un lieu clos : un mystère pour la police
Le narrateur, un étranger, raconte une histoire qui lui est arrivée à Paris, dans la première moitié du XIXe siècle. À cette époque, il vivait retiré du monde avec son ami Dupin qui appréciait de vivre la nuit, qui était doté d’une faculté d’observation et d’analyse impressionnantes.
Un soir, ils apprennent, en lisant la Gazette des tribunaux, que deux meurtres ont eu lieu dans une demeure à la rue morgue. En effet, les corps de Madame L’Espanaye et de sa fille, Camille, ont été retrouvés par les voisins et deux gendarmes alors que les deux portes donnant sur leur chambre étaient fermées à clé. Ils se sont précipités vers le logement après avoir entendu des cris et après avoir forcé l’entrée, ils ont reconnu deux voix : l’une grave et l’autre aiguë.
Le corps de Camille L’Espanaye était enfoncé dans la cheminée, la tête en bas, et présentait des marques de strangulations. Madame L’Espanaye, quant à elle, a été décapitée. Son corps gisait sur le pavé de la cour et sa tête avait été envoyée dans la cheminée. Si l’intérieur de la chambre est en désordre et que les tiroirs semblent avoir été fouillés, il est troublant que les quatre mille francs en or, que Madame L’Espanaye a retiré trois jours auparavant, soient en évidence sur le lieu du crime.
D’autre part, les nombreux témoignages sur les voix divergent à tel point qu’il est difficile de savoir l’origine de la deuxième voix présente. En effet, si tous s’accordaient sur le fait que la voix grave appartenait à un Français – les mots “diable”, “Mon Dieu !” et “sacré” ont été entendus – la voix aiguë n’a pas pu être identifiée. On a attribué cette voix à une personne qui parle italien, anglais, russe, allemand, et même français.
La police est en plein désarroi face à ce double assassinat pour lequel il n’y aurait pas de mobile et qui s’est déroulé dans un lieu clos. Toutefois, le commis de la maison de banque, Adolphe Lebon, a été arrêté et incarcéré, mais les faits ne permettent pas de l’incriminer.
L’enquête de Dupin
Dupin propose au narrateur de l’accompagner sur le lieu du crime pour utiliser sa méthode de déduction afin de comprendre ce qui s’est passé. Après avoir inspecté minutieusement l’extérieur de la demeure et la chambre, Dupin et le narrateur retournent chez eux. Dupin demande au narrateur de se munir d’un revolver puisqu’une personne va venir les rejoindre avant de tout lui expliquer.
Le lieu n’était pas vraiment clos puisqu’une fenêtre, que l’on a cru condamné, était ouverte. Néanmoins, la fenêtre étant assez haute, on ne pouvait y accéder que par la chaîne du paratonnerre. Il fallait disposer d’excellentes qualités de grimpeur pour l’atteindre. Dupin attire l’attention du narrateur sur la voix aiguë. En comprenant que tous les témoins ont cru reconnaître une langue qu’ils ne possédaient pas, il en déduit que cette voix n’appartient pas à un être doué de la parole. D’autant plus qu’il a retrouvé certains détails négligés par la police : “une poignée de cheveux” dans la main d’une des victimes qui pourrait correspondre à un animal ainsi qu’une mèche de cheveux nouée d’un ruban, au pied du paratonnerre, qui semblerait appartenir à un marin. Par ailleurs, Dupin invite le narrateur à essayer diverses expérimentations afin qu’il puisse se rendre compte qu’une main d’homme n’aurait pas pu infliger les marques de strangulations que l’on a retrouvées sur le cou de Camille L’Espanaye. Dupin explique alors au narrateur qu’il a fait paraître une annonce dans le journal Le Monde : “AVIS. – On a trouvé dans le bois de Boulogne, le matin du… courant (c’était le matin de l’assassinat), de fort bonne heure, un énorme orang-outang fauve de l’espèce de Bornéo. Le propriétaire (qu’on sait être un marin appartenant à l’équipage d’un navire maltais) peut retrouver l’animal, après en avoir donné un signalement satisfaisant et remboursé quelques frais à la personne qui s’en est emparée et qui l’a gardé. S’adresser rue…, n°…, faubourg Saint-Germain, au troisième.”
La révélation
Peu de temps après avoir fini de présenter ses déductions au narrateur, un marin se présente et Dupin lui explique qu’il sait qu’il est impliqué, indirectement, au double assassinat dans la rue morgue.
Le marin avoue qu’il s’est procuré un jeune orang-outan avec un autre collègue au cours d’un voyage à Bornéo. Quand son collègue est mort, il est devenu le seul propriétaire de l’animal et il l’a ramené à Paris. Un jour, alors qu’il rentrait chez lui, il s’est aperçu que l’orang-outan tenait entre ses mains un rasoir et essayait d’imiter son maître dans son rasage quotidien. Le marin a alors sorti le fouet pour contrôler l’animal, mais celui-ci s’est sauvé. Il s’est alors lancé à sa poursuite et l’a vu escalader une chaîne de paratonnerre pour entrer dans un bâtiment. Après avoir grimpé, le marin a assisté à ce spectacle tragique.
En voulant imiter son maître, l’orang-outan s’est rué vers Madame L’Espanaye pour lui raser le visage. Néanmoins, par maladresse, il lui a tranché la gorge. Il s’est alors jeté sur Camille et l’a étranglé. En voyant le regard horrifié de son maître par la fenêtre et craignant les coups du fouet en guise de châtiment, l’animal a essayé de dissimuler ses crimes. Il a mis le corps de Camille dans la cheminée et a jeté Madame L’Espanaye dans la cour avant de fuir la scène de crime. Les deux voix appartenaient donc au marin et à son animal. Du fait de sa méthode déductive et grâce à son esprit d’observation, la police put résoudre l’enquête et Lebon fut relâché. Le marin retrouva l’orang-outan et le vendit, à bon prix, au Jardin des Plantes.
Présentation des personnages
Auguste Dupin est un “jeune gentleman” français appartenant à “une famille illustre” qui est tombé dans la pauvreté. Il rencontre le narrateur lorsqu’ils se mettent, tous deux, à rechercher le même livre dans un “cabinet de lecture de la rue Montmartre”. En effet, dépossédé de tout, Dupin n’a pour seul loisir que les livres et le fait de jouir de ses capacités mentales. Fin observateur et excellent analyste, il passe son temps à sonder les gens. S’il se plaît à résoudre l’énigme de ce double assassinat, ce n’est pas pour aider la justice, mais simplement par plaisir comme il le fait comprendre au narrateur “Une enquête nous procurera de l’amusement”.
Le narrateur est celui qui nous raconte l’histoire toutefois, il est en retrait par rapport à Dupin et nous n’avons que très peu d’éléments sur lui. Nous savons que c’est un passionné de lecture, tout comme Dupin et qu’il finit par partager un logement avec ce dernier. En désignant son ami Dupin comme “le Français”, nous pouvons déduire que le narrateur est un étranger. À la façon qu’il a de se plier aux excentricités et à la bizarrerie de Dupin, nous pouvons penser que le narrateur dispose d’une personnalité qui n’est pas aussi forte que celle de Dupin.
Madame L’Espanaye et sa fille Camille sont deux femmes qui mènent une vie paisible jusqu’à ce qu’elles soient tuées par l’orang-outan du marin. Les seules informations que l’on ait sur elles viennent de la Gazette où les témoignages apportent des éléments différents : certains prétendent que Madame L’Espanaye disait la bonne aventure, d’autres précisent qu’elle était atteinte de sénilité. Ce qui rend leur description assez floue. Toutefois, elles étaient propriétaires de leur logement, étaient recluses dans leur appartement et possédaient une somme de quatre mille francs en or qu’elles avaient retiré quelques jours auparavant.
L’orang-outang est le meurtrier de Madame L’Espanaye et de sa fille, Camille. Il a été ramené à Paris par un marin qui souhaitait le vendre à un zoo. C’est en fuyant son maître, apeuré par le fouet, qu’il finit par s’immiscer dans la vie paisible des deux jeunes femmes, les entraînant dans une mort certaine. Au final, l’orang-outang est retrouvé par son propriétaire qui le vend à bon prix au Jardin des Plantes de Paris.
Le marin est le propriétaire de l’orang-outan qu’il a trouvé au cours d’un de ses voyages à Bornéo. C’est un homme qui dispose d’une bonne condition physique, pour avoir été capable de grimper sur la chaîne du paratonnerre. Le narrateur le décrit comme un homme “grand, robuste et musculeux” qui parle avec “un accent français légèrement bâtardé de suisse”. En venant récupérer son animal, il est piégé par Dupin et se met à avouer tout ce qu’il s’est passé.
Analyse de l’oeuvre
Avec son personnage Auguste Dupin, Edgar Allan Poe rompt avec les personnages des autres récits. En effet, dans Double assassinat dans la rue morgue, l’intelligence du personnage principal constitue la pierre angulaire du récit. Le lecteur se familiarise avec la méthode Dupin afin de discerner et de comprendre ce qui s’est passé dans cette histoire macabre. De manière implicite, Poe essaie de nous faire comprendre que l’esprit est supérieur aux sentiments. Dupin est un homme qui se plaît à résoudre cette énigme qui pose problème à la police. Non pas par envie de justice, mais tout simplement pour “s’amuser”, se divertir et pouvoir mesurer sa méthode d’observation et d’analyse sur une énigme complexe.
Dans cette histoire, nous avons deux fois l’occasion d’assister à la méthode Dupin par le prisme du narrateur. En effet, lorsqu’ils déambulent dans les rues de Paris, Dupin est capable d’analyser et de déduire les différentes pensées qui se sont succédé dans l’esprit du narrateur pour finir par penser à Chantilly. Ce passage est l’occasion pour l’auteur d’introduire la méthode Dupin afin de familiariser le lecteur aux déductions et à l’analyse qui va suivre.
Résoudre l’énigme de cette enquête qui plonge la police parisienne dans le désarroi le plus total est un moyen “amusant” pour Dupin d’exercer ses talents, mais également de montrer la supériorité de sa méthode face aux autres enquêteurs. Si ces derniers ont échoué, c’est parce qu’ils n’ont aucune méthode hormis celle du moment, or le fait de réagir ne leur permet pas de développer leur capacité réflexive. Cette dernière est surexploitée par Dupin lorsqu’il passe au crible tous les éléments du lieu du crime en allant jusqu’à remarquer certains détails que la police n’a pas su identifier (une poignée de cheveux entre les mains de la victime, une mèche de cheveux nouée d’un ruban, une fenêtre ouverte). En se détachant de la scène et en bannissant l’impossibilité que des individus aient pu entrer et sortir sans être vus, Dupin prend conscience de ce qu’il s’est passé et en arrive à tendre un piège au marin.
La police parisienne ainsi que le narrateur représentent le commun des mortels qui sont clairement inférieurs face à la capacité réflexive de Dupin qui est capable d’observer, d’analyser et de comprendre ce qui s’est passé. Il est également intéressant de noter que l’orang-outang représente la bestialité, la force physique, qui se laisse clairement surpasser par l’intelligence que montre Dupin. En ce sens, Dupin et l’orang-outang sont deux personnages antagonistes.
Si la méthode Dupin peut sembler être magique, voire surnaturelle, il n’en est rien. Sa capacité d’observation et sa façon de faire font penser aux méthodes utilisées par les mentalistes.
Poe s’est attaché à ancrer son histoire dans la réalité toutefois le Paris qu’il décrit est totalement irréel. En effet, bien que les noms des rues soient vrais, la topographie, quant à elle, ne l’est absolument pas. Poe, n’étant jamais allé à Paris, nous livre une capitale totalement imaginée pour apporter une touche d’exotisme pour ses lecteurs américains. L’idée est de les dépayser avec une histoire qui se déroule outre-atlantique.
Cependant, le cadre n’est pas vraisemblable. Effectivement, l’auteur a choisi une ville cosmopolite où il y aurait la présence de nombreux étrangers et qui pourrait expliquer le fait que l’on ait amené un animal d’un autre pays pour le vendre à bon prix. Si l’auteur choisit Paris comme ville française pour sa nouvelle policière, c’est parce que cette ville est connue de tous. Toutefois, malgré tous les efforts de l’auteur pour entrer son histoire dans une certaine réalité, certains éléments ne collent pas. D’une part, lorsque Dupin confie à la Police l’identité du meurtrier, celle-ci ne fait rien pour retrouver l’animal et pour preuve, celui-ci est retrouvé par son propriétaire qui finit par le vendre au Jardin des Plantes. Un animal sauvage qui se retrouve en liberté après avoir tué des êtres humains aurait forcément entraîné une battue afin que l’on parte à la recherche de l’animal pour le capturer et/ou l’abattre. D’autre part, le délai écoulé dans lequel les morts restent dans l’appartement est relativement trop long. Ce n’est pas parce qu’ils sont à la rue morgue qu’ils sont réellement à la morgue.
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