Pièce écrite en 1950, elle fait partie du registre du théâtre de l’absurde qu’Eugène Ionesco, un auteur roumano-français a contribué à créer et qu’il préférait appeler théâtre de la dérision.
Il la qualifiait de pièce à l’humour noir, un drame comique comme le précise le sous-titre.
Elle se passe en huis clos, dans une seule et unique pièce d’une maison, et n’a qu’un seul acte.
Résumé de la pièce La Leçon d’Eugène Ionesco
La pièce commence sur une scène vide, apparemment pendant plusieurs minutes après le lever du rideau. Puis la sonnette retentit, et l’on entend une voix de femme depuis les coulisses, suivie de la Bonne qui entre pour aller ouvrir la porte d’entrée. La personne qui a sonné est une jeune fille bien propre sur elle, venue pour prendre sa leçon avec le Professeur qui vit dans la maison. La Bonne la fait entrer et appelle le Professeur pour le prévenir de l’arrivée de son élève. Celui-ci répond d’une voix qui est précisée « plutôt fluette » qu’il arrive.
En l’attendant, la jeune Élève feuillette son cahier de leçons. Des didascalies précisent que la jeune fille a l’air « bien vivante, gaie, dynamique » puis va progressivement basculer vers un état plus « triste et morose », passera de volontaire a « objet mou et inerte, semblant inanimée ». Le Professeur arrive alors, et lui aussi est grandement décrit dans des didascalies : il est dépeint comme quelqu’un de « excessivement poli, très timide » au début de la pièce, puis devenant « de plus en plus sûr de lui, nerveux, agressif, dominateur ». Toutes ces descriptions alarment dès le début le lecteur, qui va alors se poser des questions quant aux actions qui vont se dérouler sous ses yeux.
Le Professeur s’excuse pour son retard, et demande à son Élève si elle a trouvé la maison facilement. Elle répond que oui, et que tout le monde le connaît. Le Professeur précise qu’il habite ici depuis trente ans, et s’ensuivent alors quelques banalités.
La jeune Élève explique au Professeur que ses parents veulent qu’elle se spécialise, car la culture générale ne sert plus à rien. Elle veut passer le concours du doctorat total dans trois semaines, et c’est pour cette raison que ses parents, fortunés, lui font prendre des cours avant de l’envoyer dans une université très supérieure.
Le Professeur lui dit alors qu’ils vont commencer la leçon tout de suite. Ils s’assoient face à face à une table, de profil au public. L’Élève précise au Professeur qu’elle est à « sa disposition », et cela semble le ravir puisqu’une furtive lueur lubrique apparaît dans son regard. La Bonne entre alors à ce moment-là pour venir chercher quelque chose dans le buffet près d’eux, et le Professeur dit à la jeune fille qu’ils vont commencer par de l’arithmétique. Au moment de sortir de la salle, la Bonne précise au Professeur que « l’arithmétique ça fatigue, ça énerve » et lui recommande du calme. Il ne l’écoute pas, elle sort, et la leçon commence.
Au début, des additions « 1 et 1 font 2 ». Le Professeur semble émerveillé du savoir de son Élève ; il lui pose ainsi plusieurs additions, dont quatre fois « 7 + 1 = 8 », puis il décide de passer aux soustractions. Il commence par 4 – 3, mais elle ne trouve pas la réponse. Il va donc lui demander de compter, ce à quoi elle précise qu’elle peut le faire jusqu’à 16. En revanche, si l’Élève excelle aux additions, elle ne saisit pas le principe des soustractions : il a beau lui expliquer avec des allumettes, des bâtons tracés à la craie fictive sur un tableau fictif, elle ne comprend pas. La jeune fille explique que si elle connaît aussi bien les additions, c’est parce qu’elle a appris par cœur tous les résultats de toutes les multiplications possibles. Le Professeur lui répond alors que ce n’est pas bien, car l’arithmétique n’est pas du « par cœur » mais du raisonnement et de la recherche. Elle s’excuse platement, et le Professeur décide de changer de cours.
La Bonne entre dans la pièce au moment où il propose à son Élève d’étudier la linguistique et la philologie comparée. Elle l’interpelle alors, lui disant que « la philologie mène au pire », mais il ne l’écoute pas et elle sort à nouveau.
Le Professeur va alors commencer son cours de philologie linguistique et comparée des langues néo-espagnoles, qu’il dit apte à être assimilée en 15 minutes. Son Élève est enthousiaste et tape dans ses mains pour le montrer, mais il la reprend immédiatement. Le cours débute, et le Professeur parle beaucoup trop vite pour que la jeune fille arrive à suivre. Sa voix se fait de plus en plus éteinte, et elle se fait reprendre sans cesse lorsqu’elle essaie de dire quelque chose. Le Professeur lui parle de l’importance du langage, du choix des mots et de l’énonciation. Soudain, l’Élève a très mal aux dents. Elle va le dire au Professeur, mais il n’en tient pas compte. Au fil de la leçon, qui va s’avérer sans queue ni tête, elle va se plaindre de cette douleur dentaire de plus en plus, et va sans arrêt être ignorée par le Professeur. Le seul instant où il s’adoucira pendant cette leçon sera quand il évoquera des souvenirs – eux aussi manquant de sens. L’Élève n’arrêtant pas de se plaindre, il va alors s’énerver contre elle et lui tordre le poignet.
La laissant à sa douleur, il sort quelques minutes de la pièce pour aller chercher Marie, la Bonne. Celle-ci vient et dit que cette leçon « va le mener loin », ce à quoi il rétorque : « Je saurai m’arrêter à temps ». La Bonne précise que le fait d’avoir mal aux dents est, selon elle, le « symptôme final », et quitte la pièce.
À ces mots, le Professeur lui crie « Sottises ! » et se dirige vers le buffet d’où il sort un couteau d’un des tiroirs. Il va alors le brandir sous les yeux de son Élève, qui se plaindra alors de douleurs aux dents, à la tête, aux oreilles, aux pieds, aux seins… Tout en touchant une à une les parties de son corps en les énonçant, et en s’approchant de la fenêtre. Le Professeur lui assène alors deux coups de couteau la faisant s’affaler sur une chaise qui était justement là, pendant que lui-même s’assoit sur la chaise de l’autre côté de la fenêtre.
Il semble alors reprendre ses esprits et appelle Marie, qui revient et lui répond d’un ton sarcastique et dur. Elle dit que c’est « la quarantième fois aujourd’hui » et qu’il n’aura bientôt plus d’élèves. Le Professeur rétorque que la jeune fille était désobéissante et refusait d’apprendre, mais elle le traite de menteur et il tente de la tuer avec le couteau. Elle le gifle alors deux fois, et ils décident d’enterrer la jeune Élève avec les 39 autres tuées dans la journée. La Bonne dit que personne ne leur posera de questions et se met un brassard (laissé au choix du metteur en scène : brassard Nazi ou autre), en donne un au Professeur et ils sortent.
Comme au début de la pièce, la scène reste vide plusieurs minutes avant qu’un coup de sonnette retentisse. La Bonne va ouvrir : c’est la nouvelle élève du Professeur.
Présentation des personnages
- Le Professeur : âgé de 50 à 60 ans, il tient des propos absurdes pendant ses cours et sombre peu à peu dans la folie ;
- L’Elève : âgée de 18 ans et jeune bachelière. Très naïve, elle vient prendre des cours pour préparer un concours ;
- La Bonne : de son prénom Marie, elle est âgée de 45 à 50 ans. Bien que ses apparitions soient brèves, elle en profite toujours pour mettre en garde le Professeur et l’avertir du danger final.
Analyse de l’œuvre
Cette pièce du XXème siècle est une critique ouverte du pouvoir, et plus particulièrement dans ce cas précis du pouvoir professoral.
Le Professeur apparaît comme une caricature de tyran, ridicule à souhait. Il parle énormément, mais impose le silence à son Élève en l’empêchant de poser des questions ou même de se plaindre de son mal de dents. La seule chose qu’elle a le droit de faire, c’est de l’écouter.
Dans cette pièce, Eugène Ionesco va démystifier l’autorité (professorale et ses autres formes) en faisant tenir au Professeur un discours complètement absurde et vide de sens : les exemples qu’il donne ou les explications qu’il fait n’ont ni queue ni tête. Mais puisque c’est un professeur, il doit certainement avoir raison et savoir de quoi il parle. Le savoir est alors légitimé par l’autorité, alors même que le Professeur n’a aucune idée des âneries qu’il débite.
L’Élève est aussi fortement objectifiée. Les didascalies y jouent beaucoup, et préviennent le lecteur dès le début que la jeune fille va peu à peu perdre sa vitalité au fil de la leçon. Ionesco dénonce ici la mort des élèves par des leçons vides de sens.
La Leçon est une critique du système dictatorial, alors encore grandement appliqué dans de nombreux pays à l’époque où Eugène Ionesco l’a écrite. Il fait d’ailleurs mention de ces systèmes fascistes et dictatoriaux à la fin, lorsqu’il suggère que la Bonne et le Professeur portent un brassard avec l’emblème du nazisme à leur bras.