Écrite en 1893 par George Bernard Shaw, un dramaturge irlandais, La Profession de Madame Warren est une pièce de théâtre du 19ème siècle en quatre actes. Étudions ensemble cette œuvre troublante qui traite du commerce sexuel.
Résumé détaillé acte par acte de La Profession de Madame Warren de George Bernard Shaw
ACTE 1
Cette scène se passe dans le jardin d’un charmant cottage du Surrey où Vivie Warren, une étudiante en mathématiques, passe ses vacances. Elle se détend dans un hamac en lisant un roman policier et en prenant des notes, lorsque Praed, un ami de sa mère, fait son entrée. Après les présentations, Vivie l’invite à venir discuter avec elle. Praed, un artiste passionné par l’Italie, se montre amical et attentionné envers Vivie.
Au cours de leur discussion, Vivie révèle ses ambitions professionnelles, qui sont principalement d’ordre pratique. Elle aime travailler et être payée pour cela, tout en appréciant également se détendre avec un bon roman policier. Cependant, Praed est choqué par le manque d’intérêt de Vivie pour l’art et la culture, qui ont une grande importance à ses yeux.
La conversation prend une tournure gênante lorsque Vivie admet qu’elle ne connaît pas très bien sa mère, ayant été élevée dans différents internats et collèges. Praed tente d’expliquer que l’idéal que sa mère a de Vivie est différent de la personne qu’elle est en réalité, mais Vivie insiste sur le fait qu’elle ne sait pas grand-chose des attentes de sa mère à son égard.
Mme Warren et son acolyte, Sir George Crofts, un homme grand et puissant, arrivent. Ils discutent de la manière dont Vivie devrait être traitée. Praed suggère qu’elle devrait être traitée avec respect en tant que femme adulte, mais Mme Warren s’en amuse et rejette cette idée. Finalement, Vivie appelle sa mère à l’intérieur pour une conversation privée.
Crofts et Praed discutent de l’identité du père de Vivie, qu’ils ne connaissent pas tous les deux. Crofts se sent attiré par la jeune fille et craint qu’il ne soit son père. Praed, quant à lui, écarte cette possibilité. Ils sont alors interrompus par Frank Gardner, qui est l’ami de Vivie. Celui-ci révèle qu’il aime Vivie et qu’il a l’intention de l’épouser. Ils sont rejoints par le père de Frank, le révérend Samuel Gardner, qui hésite d’abord à entrer dans le jardin, mais se laisse finalement convaincre par Frank. Lorsqu’il rencontre Mme Warren, le révérend Gardner la reconnaît et elle lui dit qu’elle possède une collection de ses vieilles lettres.
ACTE 2
Frank et Vivie parlent brièvement de leurs sentiments à l’égard de leurs parents respectifs et de leur cercle d’amis. Frank semble s’être entiché de Vivie, mais elle n’est pas d’humeur à accepter ses avances.
Plus tard, Crofts propose à Mme Warren d’épouser Vivie, mais celle-ci rejette l’idée avec dégoût. Le groupe revient du dîner et le révérend suggère que lui et Praed partent pour que Mme Warren et Vivie puissent passer du temps ensemble. Frank accepte à contrecœur et les hommes partent.
Vivie et Mme Warren restent seules, et Vivie semble contrariée par Frank. S’ensuit une discussion mère-fille animée sur leur vie et leurs relations avec les hommes. Mme Warren tente d’affirmer son autorité en tant que mère, mais Vivie ne se laisse pas facilement influencer et remet en question le passé de sa mère et l’histoire de leur famille. Vivie insiste pour savoir qui est son père, et Mme Warren admet à contrecœur qu’elle n’en est pas sûre, bien qu’elle soit certaine que le père de Vivie n’est pas l’un des hommes qu’elles ont rencontrés.
La conversation s’intensifie lorsque Mme Warren, frustrée par l’attitude de sa fille, l’accuse d’être sans cœur et ingrate. Elle explique avec passion qu’elle n’a pas eue les mêmes opportunités que Vivie, qui rétorque que chacun peut faire ce qu’il veut dans la vie. Mme Warren décide alors d’en dire plus sur son passé difficile où elle a commencé en tant que prostituée et tenancière de maison close. Mrs. Warren raconte comment elle et sa sœur Liz ont quitté des situations misérables pour devenir des femmes indépendantes et prospères. Elle explique que, malgré les jugements moraux des autres, elle pense avoir fait le meilleur choix pour elle-même, et qu’elle ne ressent pas de honte ou de regret. Vivie est fascinée par le récit de sa mère et reconnaît sa force et son intelligence. Les deux femmes se réconcilient et partagent un moment d’affection.
ACTE 3
La scène se déroule dans un magnifique jardin du presbytère. Frank et son père, le révérend Samuel Gardner, discutent du comportement de ce dernier la nuit précédente, lorsqu’il était en état d’ébriété et qu’il a apparemment invité Mme Warren et sa fille Vivie à rester chez eux. Cela pose un problème car la mère de Frank n’approuverait pas Mme Warren. La mère de Frank est partie en ville, et Frank soupçonne qu’elle pourrait savoir quelque chose sur la vraie nature de Mme Warren. Alors que tout le monde arrive, Frank demande à son père de les accueillir chaleureusement et de s’excuser de l’absence de sa mère. Frank exprime son malaise face à la présence de Mme Warren et à la relation étroite qui se développe entre elle et Vivie. Lorsque les invités arrivent, Frank cache ses véritables sentiments et accueille chaleureusement Mme Warren dans le jardin.
Les personnages décident de visiter une église du XIIIe siècle, laissant Vivie et Frank seuls pour discuter. Durant leur échange, Vivie insiste sur le fait qu’elle connaît mieux sa mère et qu’elle comprend les difficultés qu’elle a dû affronter. Ils ont un désaccord sur le caractère de Mme Warren et sur la façon dont Vivie doit la traiter.
Sir George Crofts tente de persuader Vivie de l’épouser en lui expliquant qu’il est un homme riche et qu’il représente un bon parti. Il révèle qu’il est l’associé de sa mère dans une chaîne d’hôtels, ce qui s’avère être un euphémisme pour désigner des maisons closes. Vivie est choquée et dégoûtée par cette révélation. Toutefois, Crofts tente de justifier son implication en la comparant à d’autres investissements moralement douteux réalisés par des personnes respectables. Vivie exprime son mépris pour Crofts. Lorsqu’il se met en colère et tente de l’empêcher de partir, elle sonne la cloche et son ami Frank apparaît avec un fusil, ce qui fait reculer Crofts. Insulté, ce dernier leur révèle que Frank est le demi-frère de Vivie. En apprenant ça, Frank met Crofts en joue mais Vivie l’arrête. Elle décide de partir vivre chez son amie Honoria Fraser. Frank tente de l’en dissuader, en vain.
ACTE 4
Frank attend Vivie dans le bureau de Vivie à Chancery Lane, au sommet de New Stone Buildings, où il fait les cent pas. Vivie arrive et Frank la taquine sur son absence. Celle-ci se défend en expliquant qu’elle a pris vingt minutes de pause afin de prendre un thé. Frank lui propose de passer du temps ensemble pour le reste de la journée, mais Vivie refuse car elle doit travailler. Frank insiste pour avoir une conversation sérieuse avec elle, et ils discutent de leur relation après la révélation de leur lien familial.
Vivie admet qu’elle pense que la relation de frère et sœur leur conviendrait bien, ce qui surprend Frank. Il comprend qu’il y a peut-être quelqu’un d’autre dans la vie de Vivie et accepte cette nouvelle réalité. Alors qu’ils continuent à parler, Praed frappe à la porte. Il vient dire au revoir à Vivie avant de partir pour l’Italie.
Praed propose à Vivie de partir pour l’Italie avec lui pour s’imprégner de beauté et de romantisme. Vivie refuse et insiste sur le fait qu’elle voit la vie sans beauté ni romantisme. Praed tente de la convaincre en parlant de Vérone et Venise, mais Vivie reste réticente. Frank plaisante sur le romantisme de Vivie, mais cela ne fait que l’énerver davantage.
Vivie demande à être traitée comme une femme d’affaires célibataire (pour Frank) et non romantique (pour Praed). Frank et Praed tentent de changer de sujet, mais Vivie insiste sur le fait qu’il n’y a que deux évangiles dans le monde : l’art et la réussite. Elle parle ensuite de sa mère et de la vérité sur son passé. Elle écrit deux mots sur un papier, mais ne parvient pas à les dire à voix haute. Elle leur tend le papier, mais, au dernier moment, elle le reprend et le découpe en petits morceaux. Frank a le temps de lire les mots, il les réécrit et les montre discrètement à Praed. Ils comprennent alors la situation et expriment leur soutien à Vivie.
Vivie annonce qu’elle va devoir annoncer à sa mère qu’elles doivent se séparer. Elle sort de la pièce pour se refaire une beauté, laissant Frank et Praed seuls.
Avec les révélations de Vivie concernant sa mère, Frank refuse de se marier avec elle en raison de problèmes financiers. En effet, il ne sera jamais à la hauteur pour assurer un bon train de vie à celle qu’il aime et il refuse de recevoir un seul sou de Mme Warren maintenant qu’il sait d’où provient l’argent. Praed le réprimande pour son comportement méprisable, mais Frank est sûr de son choix. Pendant ce temps, Mme Warren arrive chez Vivie, cherchant sa fille. Elle est mal à l’aise et anxieuse. Frank conseille à Mme Warren de partir avant l’arrivée de Vivie, tout comme Praed, mais elle choisit de rester pour voir sa fille. Lorsque Vivie arrive, Mme Warren l’accueille avec une fausse gaieté hystérique.
Vivie fait savoir à sa mère qu’elle est mécontente de la vie qu’elle mène. Mme Warren ne comprend pas, étant donné qu’elle lui avait expliqué qu’elle était proxénète et que Vivie avait compris. Toutefois, celle-ci lui avoue qu’elle pensait que c’était une étape dans la vie de sa mère et que cela n’était plus d’actualité. Elle décide donc de mettre fin à leur relation. Mme Warren tente de la convaincre de rester en lui offrant de l’argent et une vie de luxe, mais Vivie refuse. Elle critique également les valeurs et la philosophie de vie de Croft, qui est impliqué, avec elle, dans le commerce du sexe. Vivie ne saisit pas pourquoi sa mère continue dans cette voie alors que sa tante Lize a su s’en sortir. Sa mère lui explique qu’elle aime gagner de l’argent et qu’elle ne sait pas quoi faire d’autres.
Vivie exprime son mépris quant à l’argent que sa mère gagne et se montre déterminée à mener une vie indépendante et honnête. De son côté, Madame Warren tente de convaincre sa fille de comprendre ses choix et de rester à ses côtés. Mais Vivie choisit de se séparer de sa mère pour suivre sa propre voie. Cette dernière s’en va sans lui serrer la main. Vivie se décrispe alors et retourne à son bureau, où elle découvre le mot de Frank. Un sourire se dessine sur son visage, et elle reprend son travail.
Présentation des personnages
Vivie Warren est la fille de Madame Warren, une ancienne prostituée devenue riche grâce à son commerce sexuel. Vivie est une jeune femme indépendante, intelligente et ambitieuse, qui a été élevée en Suisse dans un pensionnat de jeunes filles. Elle a été éduquée pour devenir une femme indépendante, capable de subvenir à ses propres besoins. Dès le début de la pièce, on peut remarquer que Vivie est différente des autres femmes de son époque. Elle est instruite, professionnelle et se distingue par son franc-parler. Elle s’oppose fermement aux conventions sociales et à l’hypocrisie qui règnent dans la société victorienne. Elle se montre très critique envers sa mère et son passé de prostituée, qu’elle considère comme immoral. Vivie incarne donc la nouvelle femme de la fin du XIXe siècle, une femme qui revendique son indépendance financière et son droit à l’éducation. Ce personnage complexe doit faire face à des choix difficiles tout au long de la pièce. Elle doit notamment choisir entre son ambition professionnelle et ses sentiments amoureux. En effet, elle tombe amoureuse de Frank Gardner, un jeune homme charmant et ambitieux. Mais elle découvre rapidement que Frank est le fils d’un ancien client de sa mère, ce qui rend leur relation impossible. D’autant plus que selon Croft, il pourrait potentiellement être son demi-frère. Vivie décide donc de sacrifier sa vie amoureuse pour poursuivre sa carrière. Ce choix difficile lui donnera assez de force et de détermination pour couper définitivement les ponts avec sa mère qui refuse de trouver un autre travail.
Madame Warren est une travailleuse du sexe qui a choisi cette profession pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Elle a réussi à gérer ses affaires avec succès et est devenue propriétaire de certains établissements. Cependant, elle est confrontée à la difficulté de cacher sa profession à sa fille, qui a une vision stigmatisante de la prostitution et qui souhaite voir sa mère réussir dans une profession considérée comme plus noble. Cette situation souligne la nécessité de protéger les droits et la dignité des travailleurs et travailleuses du sexe, qui font souvent face à la stigmatisation et à la discrimination. Le conflit qui oppose Madame Warren et sa fille met en évidence les préjugés et les stéréotypes qui entourent la prostitution et qui peuvent empêcher les travailleurs et travailleuses du sexe de mener une vie épanouissante et sûre. Au lieu de juger les choix de vie des travailleurs et travailleuses du sexe, il est important de reconnaître leur droit à la sécurité, à la protection sociale et à l’autonomie.
Sir George Crofts est un homme riche et désagréable, d’un certain âge, qui exerce une grande influence sur les affaires de Madame Warren. Il incarne le monde impitoyable des affaires et de l’argent, où le pouvoir est roi, et se moque ouvertement des valeurs morales et de la dignité humaine. Manipulateur et ambigu, il est attiré par Vivie et tente de la séduire en lui offrant une vie confortable et luxueuse, mais elle résiste à ses avances. Jaloux de l’idylle naissante entre Frank et Vivie, il mettra tout en œuvre pour ruiner leur chance en révélant la relation qu’il y a eu entre le père de Frank et la mère de Vivie. Sir George Crofts représente le pouvoir de l’argent et la corruption qui peut en découler, illustrant ainsi la façon dont les affaires peuvent corrompre les individus et les éloigner de toute moralité et de toute humanité.
Frank Gardner est le fils du révérend. Il est amoureux de Vivie Warren, la fille de Madame Warren. Ce gentleman anglais dispose d’un certain charme, mais c’est un homme oisif, qui ne semble pas avoir beaucoup d’ambition ou de projets pour son avenir. Amoureux de Vivie, il abandonnera son projet de se marier avec elle seulement lorsqu’il comprendra d’où vient la richesse de Madame Warren. Non pas qu’il comptait épouser Vivie pour l’argent de sa mère, mais il est réaliste quant à son ambition. Il sait que vu son statut social et ses compétences, il ne pourra jamais proposer à Vivie une belle vie. Néanmoins, il ne compte pas la rayer de sa vie, il continuera de la voir de façon épisodique. Il serait le demi-frère de Vivie.
Le Reverend Samuel Gardner est le père de Frank Gardner. Ce pasteur méthodiste aurait été l’un des clients de Madame Warren lorsqu’elle était prostituée, ce qui suggère que Frank pourrait être le demi-frère de Vivie.
Praed est décrit comme un ami proche de Madame Warren. Lorsque Vivie passe ses vacances au cottage, c’est lui qui la rencontre en premier. Praed est un artiste amoureux de l’Italie, un homme charmant et délicat qui apporte un peu de douceur et de poésie à un univers sombre et sans espoir.
Analyse de l’oeuvre
Les thématiques abordées
La prostitution : La pièce aborde le pouvoir de la société patriarcale qui pousse certaines femmes à se prostituer pour survivre. Madame Warren, femme d’affaires qui a fait fortune en gérant des maisons closes en Europe après avoir vécu une partie de sa vie dans la prostitution, est présentée dans cette pièce. Celle-ci révèle les différentes facettes de l’industrie du sexe, y compris les motivations des femmes qui y travaillent, les risques qu’elles prennent ainsi que les conséquences sociales et morales qui en découlent. Ainsi, Madame Warren peut être vue comme une victime qui, du fait de son intelligence, a réussi à comprendre le fonctionnement du monde dans lequel elle évolue. Cela lui a permis de bâtir un empire financier solide.
L’hypocrisie : La pièce met en lumière les doubles standards de l’époque où la prostitution était considérée comme immorale, mais où les hommes riches pouvaient fréquenter des maisons closes sans être inquiétés. Ainsi, on peut se poser la question suivante : qu’est-ce qui est le plus immoral, les personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe ou ceux qui utilisent ce service ? Dans la pièce, Madame Warren est confrontée à l’hostilité de la haute société et à l’injustice de la morale dominante qui la stigmatise en tant que prostituée alors qu’elle a travaillé dur pour assurer un avenir financier à sa fille.
L’héritage : La Profession de Madame Warren illustre à quel point les relations entre parents et enfants sont influencées par la classe sociale et les normes sociales. Vivie représente la jeune génération qui remet en question les valeurs de la société victorienne et qui lutte pour son indépendance financière et intellectuelle. Vivie est confrontée à un choix difficile : accepter l’héritage de sa mère, qui provient de l’exploitation sexuelle, ou renoncer à ses aspirations et à son avenir. Ce dilemme souligne la complexité des relations familiales et la difficulté à se construire en tant que personne dans une société oppressive.
La réussite financière : Dans un premier temps, l’argent est un moyen de subvenir à ses besoins primaires, mais très vite, on se rend compte que la richesse peut corrompre les valeurs humaines et éthiques. Madame Warren, qui a réussi dans les affaires en exploitant d’autres femmes, est confrontée à la critique de sa propre fille, qui la considère comme une personne immorale et sans scrupules. Bien que Madame Warren ne soit pas exempte de tous reproches, elle n’est pas à mettre dans le même panier que Crofts. En effet, Madame Warren a simplement saisi l’opportunité qui s’offrait à elle. Comme elle le dit si bien, si ce n’est pas elle, une autre personne s’en chargera. Malgré ce que prétend Vivie, les deux femmes se ressemblent plus qu’elle ne veut bien l’admettre. Si Vivie veut mener une vie qu’elle juge respectable, elle souhaite, à l’instar de sa mère, travailler dur pour gagner énormément d’argent. Elle est prête à réaliser tous les compromis possibles pour réussir financièrement (sacrifier son idylle avec Frank, couper les ponts avec sa mère, refuser de prendre du bon temps, etc.).