Publiée dans Le Gaulois le 8 août 1882 pour la première fois, la nouvelle Farce Normande a tout le charme, l’énergie et l’humour typiques des contes normands. Aujourd’hui, cette nouvelle est accessible dans le recueil Contes de la Bécasse. On observe un contraste entre la pudeur des femmes et la vulgarité des hommes. Découvrons ensemble cette nouvelle d’un auteur français qui aborde une cérémonie de mariage normande dans toute sa splendeur.
Résumé détaillé de Contes de la Bécasse – “Farce Normande” de Guy de Maupassant
La nouvelle décrit un mariage rural en Normandie entre Jean Patu, un riche fermier passionné de chasse, et Rosalie Roussel, une jeune femme bien dotée de la région. Le repas dure de longues heures. Il est ponctué de nombreux trous normands*, ce qui échauffe les esprits. Quatre voisins de Jean commencent à le taquiner et l’un deux lui fait comprendre que cette nuit est belle pour une activité de braconnier. Furieux que l’on puisse braconner sur ces terres pendant sa nuit de noces, Jean écourte la discussion. Après qu’ils aient tous bu les tonneaux d’eau-de-vie, les époux montent à leur chambre pour consommer leur nuit de noces. Lorsque Jean s’approche de sa femme pour l’embrasser, ils entendent un coup de feu. Il court à la fenêtre pour observer le paysage. Rosalie tente de le ramener auprès d’elle. Jean revient et, au moment où il la dépose sur le lit, il entend une autre détonation. C’en est trop pour Jean. Il s’arme de son fusil et sort à l’extérieur pour vérifier ce qui se passe, en dépit des implorations de son épouse.
Inquiète de ne pas le voir revenir le lendemain, elle en fait part aux valets et aux charretiers qui décident de partir à sa recherche. Jean est retrouvé à plusieurs kilomètres de sa propriété : “ficelé des pieds à la tête, à moitié mort de fureur, son fusil tordu, sa culotte à l’envers, avec trois lièvres” morts pendants autour du cou. Sur une pancarte, on pouvait y lire : “Qui va à la chasse, perd sa place.“.
* trou normand : verre de calvados ou d’un autre alcool que l’on boit au milieu d’un repas copieux pour activer la digestion (Larousse). Il peut également s’agir d’un sorbet ou d’une glace fortement alcoolisé. C’est une spécialité culinaire de la Normandie qui permet de “creuser un trou” dans l’estomac avant de poursuivre le repas.
Présentation des personnages
Jean Patu, le marié, est représentatif de l’image du fermier normand de l’époque. C’est un bel homme fier de sa richesse et de sa réussite. Ce passionné de chasse est également un personnage impulsif qui n’hésite pas à prendre le fusil pour chasser les intrus qui chassent illégalement sur son territoire. Il symbolise l’identité et l’orgueil normands.
Rosalie Roussel, la mariée, est une femme agréable et bien dotée, qui a été très courtisée. Son union avec Jean n’est pas fondée sur l’amour, mais plutôt sur le désir d’acquérir une sécurité financière. Ainsi, elle incarne la femme soumise aux traditions de son temps. Elle n’a pas le choix de son mari et doit accepter les décisions de sa famille. Elle symbolise la perpétuation de la lignée familiale.
Les quatre gars, voisins des mariés, décident de jouer une farce et se montrent impatients de mener leur plan à bien. Ils incarnent l’esprit festif de la noce en offrant une représentation authentique de cette tradition culturelle normande.
Les parents des mariés sont des personnages secondaires dans cette nouvelle. Ils représentent la norme sociale dans laquelle le mariage est vu comme une opportunité pour les familles d’étendre leur influence.
Les invités à la noce sont très représentatifs de la communauté locale et de la diversité des classes sociales. Certains des invités sont riches, tandis que d’autres sont plus modestes. Ils forment donc une micro-société locale qui se rassemble pour célébrer l’événement (le mariage) et pour renforcer leurs liens sociaux malgré leurs différences.
Analyse de l’oeuvre
Dans Farce Normande, Maupassant utilise une écriture simple et claire pour décrire des scènes et des personnages avec une grande précision sans faire de grandes descriptions pompeuses qui, bien souvent, peuvent alourdir le texte. Cette sobriété stylistique correspond à son esthétique réaliste qui cherche à représenter le monde sans artifice ni idéalisation.
Le schéma narratif de la nouvelle suit une structure linéaire et chronologique, allant de la procession jusqu’à la nuit de noces. Cette progression narrative est ponctuée par des événements qui renforcent la tension dramatique et l’atmosphère festive et mouvementée de la noce, tels que les coups de feu, les farces, les plaisanteries grivoises et la disparition soudaine du marié.
Le genre de la nouvelle est réaliste, qui vise à dépeindre la vie quotidienne des gens ordinaires avec un regard objectif et précis. Cette nouvelle s’inscrit donc dans la tradition de la littérature réaliste française du XIXe siècle.
En termes de courant littéraire, la nouvelle Farce Normande est très représentative du naturalisme, qui est une extension du réalisme et qui se concentre sur la représentation scientifique de la nature humaine et de son environnement social. Maupassant, qui a été un disciple de Flaubert, a utilisé les techniques naturalistes pour décrire les caractéristiques physiques et psychologiques de ses personnages.
Analyse thématique
Le rapport de l’homme à la nature
Tout au long de la nouvelle, les personnages évoluent dans un cadre champêtre, entourés d’animaux et de végétation. La nature est omniprésente et semble régir la vie des personnages, notamment lorsqu’ils se mettent à table pour manger. En effet, leur appétit et leur comportement presqu’animal rappellent leur appartenance à la nature, à cet état primitif de l’homme. Cette relation entre l’homme et la nature est ambivalente : d’un côté, elle peut être source de joie et d’émerveillement, comme lors de la procession sous les arbres fruitiers ou lorsque les veaux les regardent passer. D’un autre côté, elle peut être source de danger et d’hostilité, comme lorsque les braconniers viennent perturber la nuit de noces de Jean et Rosalie. Cela peut nous amener à réfléchir sur le rapport de l’homme à la nature.
La question du pouvoir
La Farce Normande aborde la question du pouvoir à plusieurs niveaux. D’une part, il y a le pouvoir des riches, symbolisé par Jean Patu, qui peut dépenser de grosses sommes d’argent pour satisfaire sa passion. D’autre part, il y a le pouvoir des braconniers, qui cherchent à s’opposer à l’ordre établi et à s’approprier les ressources naturelles. Enfin, il y a le pouvoir de la tradition, qui peut aliéner les individus et les empêcher de s’exprimer librement. Cette question du pouvoir renvoie à une réflexion plus générale sur la nature du pouvoir et son impact sur la vie sociale et politique.
La place de la tradition dans un monde où la modernité est en marche
La noce décrite dans la nouvelle est riche en traditions et en coutumes normandes, comme les coups de fusil, le trou normand, les bordées d’obscénités ou les farces aux mariés. Ces traditions ont une fonction sociale importante : elles permettent de renforcer les liens entre les membres de la communauté, de marquer les étapes de la vie (ici, le passage à l’état de mari et de femme) et de transmettre un héritage culturel aux générations suivantes. Cependant, ces traditions peuvent également être étouffantes et empêcher l’évolution et le changement. Toutefois, la nouvelle se situe à une époque charnière où les traditions rurales sont en train de disparaître au profit d’une modernité en marche. Le mariage des jeunes mariés est un exemple de cette tension entre tradition et modernité : d’un côté, le choix de l’époux se base en grande partie sur des considérations matérielles (la dot) ; de l’autre, les festivités de la noce sont l’occasion de transgresser certaines règles de bienséance et de se laisser aller à des comportements plus libérés. La sexualité entre les jeunes époux illustre très bien cette transgression. Elle y est décrite de manière brute, sans romantisme, ni mysticisme. Les désirs et les besoins physiques de Jean et Rosalie sont présentés sans fard, ce qui contraste avec les normes et les conventions sociales qui dictent que la sexualité doit être cachée et réprimée.Dans la nouvelle, Jean et Rosalie sont présentés comme des personnages qui cherchent à s’affranchir des conventions sociales et à vivre leur vie selon leurs propres désirs.
La tension entre le corps et l’esprit
La nuit de noces est le moment où les jeunes mariés vont unir leurs corps pour la première fois. C’est l’occasion de “consommer” le mariage. À l’époque, cette expression, qui fait référence à la première relation sexuelle entre les époux, permettait de valider le mariage. Ainsi, les jeunes époux scellaient leur union et ils étaient légalement mariés. Pourtant, cette union n’est pas exempte de tension et de conflit. Jean, le marié, est en proie à une passion dévorante pour la chasse, qui semble lui faire perdre tout bon sens. Lorsqu’il entend des coups de feu, il ne peut résister à l’appel de la chasse et quitte sa femme pour aller braconner. La tension entre sa passion pour la chasse et son devoir d’époux nous amène à réfléchir sur la tension entre le corps et l’esprit, sur la difficulté de concilier les désirs charnels et les impératifs de la raison. À la fin de la nouvelle, le fait que Jean, n’ait pas eu de relations sexuelles avec sa nouvelle épouse, est considéré comme une faute aux yeux de la tradition locale. Cet acte bien qu’anodin souligne la partie susmentionnée qui traite de la place de la tradition qui se dérobe dans ce monde qui se modernise.