Saint-Antoine est une nouvelle de Maupassant, publiée en 1883 dans Gil Blas. On la retrouve maintenant dans le recueil Contes de la Bécasse. Partons à la découverte de cette œuvre qui raconte l’histoire d’un paysan vivant dans la région de Caux, contraint d’héberger un soldat prussien pendant la guerre franco-prussienne de 1870.
Résumé détaillé de Contes de la Bécasse – “Saint-Antoine” de Guy de Maupassant
Veuf, Saint-Antoine est un Normand de soixante ans qui jouit toujours d’une réputation de joyeux fêtard et coureur de jupons. Lorsque l’armée prussienne arrive dans son village, Saint-Antoine, qui prétend pouvoir manger une armée, se cache chez lui. Le maire le convoque et lui ordonne d’héberger un soldat prussien.
Antoine surnomme le soldat “mon cochon” et prend plaisir à l’engraisser en le nourrissant, le présentant comme un spécimen rare. Cette attitude suscite l’hilarité des villageois, mais rend également le soldat suspicieux. Un soir d’hiver, le soldat refuse de manger, mais Antoine le met au défi de boire. Le soldat remporte le défi, ce qui vexe Antoine. Sur le trajet du retour, une dispute éclate entre les deux hommes et Antoine assomme le soldat.
Persuadé qu’il l’a tué, Antoine dissimule le cadavre dans un tombereau de fumier pour éviter d’être fusillé. Durant la nuit, Saint-Antoine ne parvient pas à trouver le sommeil. À un moment, il se lève pour voir pourquoi son chien hurle à la mort et découvre que le soldat, encore en vie, est assis sur le fumier.
Ne voulant pas être dénoncé, Saint-Antoine utilise sa fourche pour tuer le soldat et le recouvre de fumier avant d’aller se coucher. Le lendemain, il alerte les officiers en leur disant que le soldat qui séjournait chez lui est introuvable. Il feint l’inquiétude et les mène sur une fausse piste, qui conduit à l’arrestation d’un vieux gendarme à la retraite qui s’occupait d’une auberge dans le village voisin, avec sa fille. Malheureusement, cet homme est fusillé.
Présentation des personnages
Saint-Antoine est un paysan rustre, âgé de soixante ans, qui vit seul, avec sa bonne et ses deux valets, dans sa ferme, depuis la mort de son épouse. Une fois par mois, il reçoit la visite de ses enfants. Il est connu pour être un bon vivant, il aime manger et boire. Cet ivrogne est également un coureur de jupons. Pendant l’invasion russe, il n’hésite pas à se vanter, affirmant son courage, mais lorsque l’armée prusse arrive, il se montre faible. C’est un homme impétueux qui se laisse facilement emporter par ses émotions. (cf : le passage où il assomme le soldat parce qu’il l’a battu à son propre jeu). Il semble avoir peu de considération pour les autres, et traite le soldat prussien de “cochon” en le gavant comme un porc. C’est sa façon, en quelque sorte, de se rebeller contre l’oppresseur. Néanmoins, Saint-Antoine se révèle être un homme très égoïste qui ne pense qu’à sauver sa propre peau. Il n’hésite pas à laisser un autre homme se faire fusiller à sa place. Il est incapable de faire face aux conséquences de ses actes.
Le soldat prussien est un bon enfant, un peu naïf, qui est sujet à une farce orchestrée par Saint-Antoine. Du fait de la barrière de la langue, il semble idiot et ne comprend pas toujours ce qui se passe autour de lui. Il est décrit comme un gros garçon à la chair grasse et blanche, aux yeux bleus, au poil blond, barbu jusqu’aux pommettes, de nature timide. Il est capable de résister aux efforts de Saint-Antoine pour le faire manger plus que ce qu’il ne peut supporter. Il aura le malheur de boire plus que Saint-Antoine, gagnant ainsi le défi ce qui irritera son hôte. Au cours de la dispute, le soldat est assommé. Il reprend ses esprits durant la nuit, assis sur le fumier. Il est finalement tué à coup de fourche par Saint-Antoine. Même si le soldat prussien n’a pas une nature malveillante, il est censé symboliser l’oppression prussienne.
Le vieux gendarme à la retraite tient une auberge dans la ville voisine avec sa fille. Il est fusillé par les Prussiens étant donné que Saint-Antoine leur a donné de fausses pistes. Ce personnage incarne l’injustice et représente les dommages collatéraux en temps de conflits.
Analyse de l’oeuvre
Le schéma narratif
Situation initiale | Le village normand est à l’abri des Prussiens. Certains se montrent “courageux”, comme Saint-Antoine, toutefois, dans leur for intérieur, ils espèrent que les Prussiens ne viendront jamais chez eux. |
Premier Élément perturbateur | Les Prussiens envahissent le village et tous les habitants, Saint-Antoine y compris, sont obligés d’héberger un soldat chez eux. |
Péripéties | 1 Saint-Antoine se moque de son soldat et l’humilie. Les locaux rient des plaisanteries de Saint-Antoine et humilient le soldat. Le soldat passe de l’oppresseur à la victime. 2 Le soldat devient suspicieux et refuse de manger plus que ce qu’il peut. 3 Saint-Antoine le met au défi de boire autant que lui. Les deux hommes se retrouvent à égalité. |
Deuxième Élément perturbateur | Saint-Antoine, vexé de ne pas avoir été supérieur au soldat dans le défi alcoolisé, se montre violent et une dispute éclate entre les deux hommes. |
Péripéties | 1 Combat entre les deux hommes. 2 Le soldat est assommé. 3 Peur de Saint-Antoine qui décide d’enterrer le cadavre. 4 Le soldat n’est pas mort, mais Saint-Antoine l’achève à coup de fourche et l’enterre une seconde fois. |
Dénouement | Saint-Antoine va voir les officiers et leur explique que le soldat qu’il hébergeait est introuvable. Il les mène sur une fausse piste. |
Situation Finale | Un vieux gendarme à la retraite, qui tient une auberge dans un village voisin, est tenu pour responsable. Il est arrêté et il est fusillé. |
Victime – Oppresseur
La nouvelle est assez drôle, et ce, même si elle dresse une situation de conflit entre les oppresseurs et les victimes. En effet, la façon dont ce conflit est présenté est ambiguë. Que ce soit Antoine ou le soldat prussien, les deux sont à la fois victimes et oppresseurs. En effet, Antoine subit l’oppression prussienne et est obligé d’héberger un soldat prussien chez lui. Néanmoins, il venge cette oppression en l’humiliant, en l’appelant “son cochon“, et en l’engraissant, ce qui est un clin d’œil à la phrase qu’il disait dès le début de la nouvelle : “Faudra que j’en mange, nom de Dieu !” en parlant des Prussiens. Toutefois, ce couard annonçait ce genre de propos en espérant que les Prussiens n’arrivent jamais dans son village.
Le soldat prussien, quant à lui, symbolise l’oppression. L’armée prussienne a envahi le village et pourtant, ce personnage assez simple et doux, qui ne comprend pas la langue française, devient attendrissant. Lui, qui a le rôle d’oppresseur, devient la victime. Il est essentiellement utilisé comme un objet de moquerie par Saint-Antoine et les autres personnages locaux. “« — Tenez, v’là mon cochon, r’gardez-moi s’il engraisse c’t’animal-là. »
Et les paysans s’épanouissaient. — Est-il donc rigolo, ce bougre d’Antoine !
— J’te l’vend, Césaire, trois pistoles.
— Je l’prends, Antoine, et j’t’invite à manger du boudin.
— Mé, c’que j’veux, c’est d’ses pieds.
— Tâte li l’ventre, tu verras qu’il n’a que d’la graisse. »”
Le soldat est soumis à des humiliations répétées, notamment en étant forcé de manger de la nourriture excessive et en étant contraint de boire de l’alcool en grande quantité.
La nouvelle reflète un déséquilibre de pouvoir entre les oppresseurs (représentés par Saint-Antoine et les autres personnages locaux) et les victimes (représentées par le soldat prussien) alors que dans une invasion, l’oppresseur serait le soldat. Ce dernier est incapable de se défendre contre les abus dont il est victime, en grande partie à cause de sa position de faiblesse en tant qu’envahisseur étranger. Toutefois, la manière dont le conflit est présenté dans le passage est ambivalente, car Saint-Antoine est également dépeint comme étant un personnage assez comique et ridicule, ce qui peut rendre la situation difficile à interpréter de façon univoque.
Un vieux Normand battu à son propre jeu
Même si la nouvelle traite un sujet sérieux : l’invasion prussienne dans un village normand. Le contexte prête à sourire, d’autant plus lorsque l’on sait les raisons qui ont poussé Saint-Antoine à provoquer le soldat prussien. Qualifié de “grand buveur“, Saint-Antoine met au défi le soldat prussien de le battre en buvant plus de cognac que lui. Saint-Antoine pense qu’en tant que campagnard normand, il va écraser son adversaire.
“Le Normand, rouge comme une tomate, le regard en feu, emplissait les verres, trinquait en gueulant « à la tienne ! » Et le Prussien, sans prononcer un mot, entonnait coup sur coup des lampées de cognac.
C’était une lutte, une bataille, une revanche ! A qui boirait le plus, nom d’un nom ! Ils n’en pouvaient ni l’un ni l’autre quand le litre fut séché.
Mais aucun des deux n’était vaincu. Ils s’en allaient manche à manche, voilà tout. Faudrait recommencer le lendemain !
Ils sortirent en titubant et se mirent en route, à côté du tombereau de fumier que traînaient lentement les deux chevaux.“. Saint-Antoine, habituellement excellent dans sa discipline, réalise qu’il a été vaincu par son adversaire. Ivre et blessé dans son amour-propre, il se montre violent et une dispute éclate. Cette lutte oppose un Normand, qui représente son village, et un Prussien, qui symbolise les oppresseurs. Cependant, le conflit ne découle pas uniquement de l’invasion, mais plutôt de la blessure d’un homme qui a perdu dans sa spécialité.
Il est pertinent de souligner que cet auteur français utilise le personnage de Saint-Antoine pour faire une satire de la paysannerie. Ce dernier est décrit comme un “couard, fanfaron et hâbleur” qui s’adonne à la nourriture et à l’alcool sans retenue. Cette représentation stéréotypée de la paysannerie reflète la vision caricaturale que certains ont de cette classe sociale à cette époque. En utilisant Saint-Antoine comme symbole de la paysannerie, Maupassant met en lumière les travers de cette classe sociale et critique le comportement qui peut y être associé.