Dans une propriété familiale, un petit garçon étouffe une vipère. Lorsqu’il exhibe son trophée, il provoque la panique des membres présents de sa famille et reçoit une fessée.
Le chapitre II plante le décor
La Belle Angerie, propriété bourgeoise, abrite à Soledot, la famille Rezeau, ancienne famille angevine comptant d’illustres ancêtres : René Rezeau, grand-oncle du narrateur, est même un académicien célèbre. C’est une famille traditionnelle, très catholique et conservatrice. Le récit commence en 1922. Deux petits garçons, Ferdinand et Jean (le narrateur) ont été confiés à leur grand-mère par leurs parents qui vivent en Chine, le père, Jacques Rezeau y étant professeur de droit. Le dernier frère est né à Shangaï. Les deux aînés, entourés de leur grand-mère, d’un oncle religieux et de nombreux domestiques, mènent une vie tranquille ponctuée de nombreuses prières et événements religieux.
Le chapitre III est un tournant
La grand-mère meurt « Grand-mère mourut. Ma mère parut. Et ce récit devient drame. »
Chapitre IV
Huit mois après, les parents Rezeau sont de retour en France. Les deux frères vont les chercher à la gare. Voulant embrasser leur mère, ils se précipitent sur elle. Irritée, elle les gifle ce qui les fait pleurer. Elle leur reproche alors leur manque d’enthousiasme et leur demande de porter des valises trop lourdes pour eux.
Chapitre V
La famille est réunie. À cette cellule familiale, s’ajoutent un précepteur, le père Trubel et une vieille domestique sourde et muette, Alphonsine dite Fine. Le narrateur évoque aussi quelques-uns des « serfs » de la famille, paysans qui vivent sur les terres de la famille.
Chapitre VI
Le 27 novembre 1924, Mme Rezeau établit un emploi du temps rigoureux et décrète des mesures énergiques : plus de poêles pour chauffer les chambres, plus d’oreillers ni d’édredons, obligation de prendre sa récréation dehors même s’il fait froid, obligation de parler en anglais au dîner…
Chapitre VII
Avec un règlement aussi draconien, tout devient prétexte à punition La gouvernante, indignée par les mauvais traitements infligés aux enfants, démissionne. La situation empire alors. Mme Rezeau supprime les rares plaisirs autorisés et impose corvées et vexations. Les enfants ont faim et froid et sont révoltés contre cette autorité injuste. Mme Rezeau institue aussi la confession publique à la prière du soir ce qui lui permet de contrôler les consciences. Hors de lui, Frédie s’exclame : « La folle ! La cochonne! » En contractant ces mots, il crée le surnom désormais attribué à la mère : Folcoche.
Chapitre VIII
M. Rezeau se fâche contre sa femme qui leur reproche de rentrer trop tard d’une partie de chasse et va jusqu’à lui demander de leur « foutre la paix ». Furieuse, Mme Rezeau se venge sur ses enfants et les bat. Le narrateur rend quelques coups et est frappé très violemment. Il ne se plaint pas. Au dîner, le père qui remarque les bleus, ne dit rien. Le narrateur constate sa lâcheté.
Chapitre IX
Les vexations redoublent et les enfants nourrissent une véritable haine contre leur mère. Le narrateur la défie en la fixant dans les yeux le plus longtemps possible tout en l’invectivant intérieurement : c’est la « pistolétade » Les précepteurs, démissionnent les uns après les autres. Un soir, Folcoche prise d’une crise hépatique doit s’aliter. Jean s’endort sur l’ « espoir sacrilège » de la mort de sa mère.
Chapitre X
Mme Rezeau organise la fête annuelle réunissant deux cents notables de la région. Par souci d’économie, elle fait commander un seul costume pour ses trois fils qui doivent paraître à tour de rôle. Lors de la réception, elle fait un nouveau malaise et doit s’injecter elle-même de la morphine. Remise dès le lendemain, elle renvoie le quatrième précepteur (surnommé AB IV ou B IV) qui s’était étonné de son avarice. Un autre abbé, BV, ne reste que huit jours mais alerte l’archevêché sur l’éducation reçue par les petits Rezeau. Le curé de Soledot est envoyé ; M. Rezeau prend de haut ses reproches mais se radoucit devant la menace que soit supprimé le privilège de célébrer des messes privées sur la propriété. Finalement, il fait un don à l’Église, tout est arrangé et un nouveau précepteur arrive. Parallèlement, le médecin préconise pour Folcoche l’ablation de la vésicule biliaire. Elle recule le plus possible l’opération .
Chapitre XI
En juillet 1927, après quatre heures de crise, Mme Rezeau se résout à partir pour la clinique. En son absence, les règles s’assouplissent. Au bout de trois mois, les fils rendent visite à leur mère qui menace de revenir bientôt. Lors de promenades, M. Rezeau instruit ses fils, leur expose ses opinions politiques conservatrices et les persuade de leur supériorité sociale.
Chapitre XII
L’état de Folcoche s’aggrave. Les trois enfants chantent « Folcoche va crever ! ». Une tante suggère à Jacques de mettre ses enfants au collège mais celui-ci ne décide rien et préfère profiter de son sursis pour recevoir des collègues entomologistes. Les enfants constituent une réserve d’argent et de provisions quand ils apprennent que leur mère va mieux. Folcoche est de retour…
Chapitre XIII
Folcoche tente de se faire des alliés et de monter les frères les uns contre les autres. Ses manœuvres échouent partiellement. Cropette désormais plus solidaire de ses frères devient « agent double ». Après deux mois d’observation mutuelle, M. Rezeau reçoit une invitation d’un ami. Il se rendra dans son château du Gers avec Ferdinand et Jean. Marcel, trop fragile, restera avec sa mère.
Chapitre XIV
Le père et les deux aînés entament un périple en voiture. Ils font étape dans de petites communes où Jacques avance dans ses recherches généalogiques. Ils sont hébergés sur leur route par d’anciens camarades de régiment. Le narrateur décrit la générosité et la gentillesse de ces hôtes. Il découvre aussi que son père sait se montrer simple dans la compagnie d’hommes du peuple. Dans le Gers, ils profitent de leurs vacances. Pour faire enrager sa mère, le narrateur envoie une lettre décrivant leur bonheur. Ils reçoivent une réponse inquiétante de Marcel qui semble les avoir trahis : leur mère a découvert leur trésor caché.
Chapitre XV
Les vacanciers rentrent. Folcoche, aidée par le nouveau précepteur qu’elle a engagé, BVII, décide de punir Ferdinand de manière exemplaire : il sera fouetté et enfermé dans sa chambre pendant un mois. Conscient que sa mère essaie de les diviser, le narrateur soutient Ferdinand tout en intriguant pour insinuer la méfiance entre Mme Rezeau et BVII. Il finit par obtenir de son père qu’il lève la punition à l’occasion de la Saint Jacques, le 1er mai.
Chapitre XVI
Furieuse, Folcoche réclame des sanctions disproportionnées à tout propos. L’abbé et M. Rezeau évitent le fouet au narrateur. Les enfants, multiplient les petites vengeances : c’est la « guerre civile ». Après qu’elle les a obligés à manger une raie avariée, les frères envisagent d’empoisonner leur mère avec de la belladone. Le projet échoue car Folcoche, habituée au produit qu’elle prend comme médicament, n’est que légèrement indisposée. Ils font alors une autre tentative. Alors que leur mère essaie de les rejoindre dans une barque, ils l’esquivent et elle tombe dans la rivière. Elle réussit à regagner la berge.
Chapitre XVII
Mme Rezeau réserve une sanction spéciale pour Jean, le pilote ; il sera consigné dans sa chambre et fouetté. Le narrateur se barricade alors. Il glisse un crayon dans la serrure de sa porte, la bloque avec une armoire et condamne la fenêtre avec un matelas. Le lendemain, les parents font intervenir un paysan qui enfonce la porte. La chambre est vide et bien rangée. Un seul mot sur la table : « VF » (vengeance à Folcoche)
Chapitre XVIII
Jean a fugué et pris le train pour Paris décidé à demander l’arbitrage de ses grands-parents maternels. Son grand-père est sénateur et ils habitent un quartier chic de la capitale. Mondains et très occupés, ils accordent peu d’attention à ses explications et lui donnent un peu d’argent de poche pour visiter Paris.
Chapitre XIX
M. Rezeau arrive le lendemain et reproche à son fils son escapade. Quand ce dernier lui reproche sa faiblesse, il se met en colère puis tente de se justifier. Après une réconciliation théâtrale, le père revient à ses préoccupations entomologistes et le fils visite Paris. Quelques jours plus tard, ils reprennent le train. Dans le wagon, Jacques Rezeau confronte ses convictions conservatrices avec un cheminot communiste plongé dans la lecture de l’Humanité.
Chapitre XX
À son retour, le narrateur est isolé de ses frères : sa mère ne l’attaque plus frontalement et attend qu’il commette un acte suffisamment grave pour justifier une sanction décisive. Il fait le point sur son enfance et décide de choisir la révolte : il sera un anti-Rezeau vomissant sa haine pour sa mère et rejetant le conservatisme de sa famille. Il sera un révolté, un lecteur de l’Humanité.
Chapitre XXI
À l’occasion de la grande fête familiale organisée pour son illustre grand-oncle, le narrateur prend définitivement ses distances avec sa famille. La haine qu’il a apprise de sa mère, lui fait voir derrière la respectabilité et la tradition vantées par son père, l’hypocrisie d’un univers en voie de disparition. Disparition qu’il a bien l’intention de hâter lui-même par ses engagements futurs.
Chapitre XXII
Après cette fête coûteuse, l’heure est à l’économie. Pas question d’accepter l’invitation de l’oncle prêtre en Tunisie et qui veut y inviter ses neveux. Jean ne manque cependant pas d’occupations. À près de quinze ans et encore très innocent, il commence à s’intéresser aux choses de l’amour. Il entreprend de séduire la fille d’un paysan et arrive à ses fins.
Chapitre XXIII
Folcoche a renoncé à mater ce fils rebelle et attend la faute impardonnable qui pourrait l’envoyer en maison de correction. N’arrivant pas à le pousser à la faute, elle projette de le faire accuser du vol de son portefeuille qu’elle vient cacher dans sa chambre. Son plan machiavélique échoue car le narrateur qui l’espionnait découvre le pot aux roses.
Chapitre XXIV
Jean rapporte le portefeuille. Après négociation, une décision est prise : les garçons seront envoyés chez les Jésuites.
Chapitre XXV
Folcoche a perdu provisoirement. En réalité, sa victoire est éternelle. Par la haine qu’elle a inoculée à son fils, elle lui interdit de connaître l’amour, la tendresse. La vipère Folcoche n’est pas étouffée et c’est avec cette vipère au poing que le narrateur s’avance dans une vie désormais placée sous le signe de la haine, du malheur et du désespoir.
Présentation des personnages principaux
Paule Rezeau, la mère née Pluvignec et surnommée Folcoche par ses fils, est fille de sénateurs et issue d’une riche famille de banquiers. Son portrait physique n’est guère flatteur : menton en galoche, grandes oreilles, cheveux secs. Elle ne montre aucune tendresse maternelle et maltraite ses enfants, leur infligeant des humiliations physiques et psychologiques (« elle avait raté sa vocation de surveillante pour centrale de femmes »). Mesquine et avare, elle méprise son mari qui n’est pas capable de faire fructifier la fortune qu’elle lui a apportée et qui ne sait pas faire preuve d’autorité. C’est elle qui gouverne la maison et le narrateur reconnaît son énergie et son courage.
Jacques Rezeau père du narrateur, le « chef de famille si peu digne de ce titre » est présenté comme un faible. Entièrement soumis à sa femme dont il dépend financièrement, il renonce souvent à défendre ses enfants même s’il désapprouve l’excessive sévérité de leur mère. Le narrateur constate à plusieurs reprises sa lâcheté. Incapable de s’imposer, il explose en colères éphémères, propose des demi-mesures ou bat en retraite, se réfugiant dans l’étude de ses mouches et ses recherches généalogiques. Capable de simplicité avec ses camarades de régiment et cherchant la complicité avec ses fils, il échoue à leur témoigner son amour. Lorsque le narrateur adolescent lui reproche son manque d’autorité, il se retranche derrière un nébuleux « esprit de famille » qui masque mal son refus d’affronter sa femme. Son fils éprouve donc pour lui une forme de mépris.
Ferdinand Rezeau dit Frédie ou Chiffe, aîné de la fratrie, a hérité de son père son caractère faible comme l’indique son surnom. Bien qu’aîné du narrateur, il ne fait que le suivre dans ses initiatives et ses révoltes.
Jean Rezeau dit Brasse Bouillon (surnom qu’il déteste), le narrateur ressemble à sa mère au physique comme au moral. Combatif, il ne se soumet pas et se révolte contre les humiliations. Sa mère le reconnaît : « il faut avouer que tu ne manques pas d’un certain courage (…) il n’y a aucun de mes fils qui me ressemble plus que toi. »
Marcel dit Cropette, le cadet né en Chine, bénéficie de l’indulgence maternelle. Ses frères se méfient de lui. Studieux et docile, il est considéré comme un « faux jeton ».
Autour de ces personnages principaux, gravitent des « figurants rapidement éliminés en général par le manque d’oxygène sentimental », les précepteurs notamment.
Analyse de l’oeuvre
Un roman autobiographique
Vipère au poing est un roman autobiographique du 20ème siècle. L’auteur français Hervé Bazin a changé les noms des personnages et des lieux mais c’est bien son enfance qu’il raconte avec une lucidité féroce. Avec le recul de l’adulte, il fait revivre au lecteur les souffrances de son enfance et la révolte de son adolescence contre une mère tyrannique.
Une ironie mordante
L’analyse est implacable et le ton ironique. Le narrateur se dépeint moins en enfant-martyr qu’il n’insiste sur la genèse de sa rébellion. Contre cette mère abusive à laquelle il ressemble tant, il retourne peu à peu les armes de la haine qu’elle lui a si bien apprise. Malgré les brimades et le traumatisme d’une enfance abîmée, Hervé Bazin ne se départit jamais d’une certaine distance et d’un humour proche du cynisme. À tout moment la tragédie frôle la comédie comme le résume l’expression par laquelle il désigne sa famille d’ « Atrides en gilet de flanelle ».
« Le chant du cygne » d’une bourgeoisie sur le déclin
Vipère au poing évoque aussi sans aucune indulgence les travers d’une bourgeoisie imbue d’elle-même d’autant plus crispée sur ses privilèges qu’elle est menacée par le vent de l’Histoire. Cette « bourgeoisie spirituelle » qui vit sur ses terres comme l’aristocratie d’ancien régime et se croit encore l’élite de la France, ne pourra bientôt plus vivre de ses rentes. Son conservatisme politique et religieux est remis en cause par de nouveaux mouvements politiques qui lui font horreur et attireront le narrateur : radicalisme, socialisme, communisme.
Un cri de haine fondateur ?
Ainsi la haine de sa mère permet-elle à l’adolescent de se définir en réaction contre l’éducation reçue et de rejeter tous les préjugés de son milieu. Il dénonce en particulier l’hypocrisie de la religion traditionnelle qui imprègne toute l’œuvre et dont sa mère s’est servie comme instrument d’oppression. L’héritage transmis par cette mère défaillante est lourd: « Toute foi me semble une duperie, toute autorité un fléau, toute tendresse un calcul ». Le cynisme avec lequel il traite sa première conquête féminine séduite puis abandonnée sans aucun remords, augure d’ailleurs mal de son aptitude future à l’amour. Le narrateur adolescent a combattu pour se libérer de sa mère …mais il entre dans la vie en brandissant « cette vipère au poing ».
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