L’Île des esclaves est une comédie en prose et en un acte de 11 scènes de Pierre Carlet Chamblain de Marivaux, romancier français, journaliste et homme de théâtre. Elle a été créée en 1725 et présentée pour la première fois à l’Hôtel de Bourgogne le lundi 5 mars de la même année, par les Comédiens Italiens.Bien que la pièce présente des caractéristiques certainement dramatiques, au final, elle dévoile un plan plutôt comique.Son objectif est de montrer les relations entre maîtres et esclaves au cours du XVIIIe siècle. En tout cas, L’Île des esclaves constitue une mise en abyme des relations de pouvoir, du rapport entre le dominant et le dominé, qu’il soit question d’autorité et de force, de séduction ou de désir.
Résumé de la pièce
Scène 1
Le rideau se lève lorsque deux athéniens font naufrage : Iphicrate le maître et Arlequin son esclave. Après le sinistre, ils débarquent sur l’île des esclaves, un endroit où vivent depuis une centaine d’années d’anciens esclaves grecs qui se sont révoltés contre leurs maîtres.Dans cette île, les maîtres deviennent des esclaves et les esclaves des maîtres.
S’inquiétant pour son pouvoir et pour sa vie, Iphicrate essaie de ramener son valet à de meilleurs sentiments afin qu’il l’aide à trouver un moyen pour s’échapper. Mais bien sûr, Arlequin a vite compris l’ordre social régnant dans ce refuge lui est très avantageux, alors il décide de réfuter la demande de son maître.Furieux, Iphicrate menace son esclave pour son insolence avec son épée, symbole de sa noblesse.
Scène 2
Bouleversé par le manque de considération ainsi que la désobéissance dont fait preuve Arlequin envers lui, Iphicrate décide de lui administrer une correction. C’est à ce moment-là que Trivelin entre en scène. C’est un habitant de l’île dont la mission est de faire régner l’ordre et de faire respecter la loi. Il est accompagné d’une Athénienne également rescapée du naufrage, Euphrosine, et sa soubrette Cléanthis.
Trivelin désarme Iphicrate et pour le punir de son comportement agressif envers son valet, il leur ordonne d’échanger leurs vêtements, leurs fonctions et leurs noms. Désormais, le Seigneur Iphicrate sera Arlequin et Arlequin deviendra le Seigneur Iphicrate.La loi de l’île des esclaves stipule tout de même que les maîtres devenus esclaves peuvent retrouver leur liberté s’ils réussissent à en tirer une leçon et à revenir sur ses erreurs après trois ans.L’idée est de corriger la barbarie et l’orgueil des maîtres afin de les rendre sains.
Scène 3
Iphicrate et Arlequin rencontrent Euphrosine et Cléanthis qui sont aussi dans le même cas. Trivelin demande à cette dernière de décrire l’attitude d’Euphrosine afin que celle-ci puisse avoir un réel portrait d’elle-même dans l’objectif de se corriger.L’ancienne esclave relate le comportement odieux de son ancienne maîtresse qui la traitait d’imbécile, de sotte ou encore de ridicule.
Devant l’intéressée, Cléanthis révèle au gouverneur de l’île qu’Euphrosine est futile, vaniteuse, égoïste et ne s’intéresse qu’à l’apparence des gens.La jeune femme ne dissimule pas sa douleur et admet être inapte à pardonner celle qui lui a infligé un traitement inhumain.
Scène 4
Trivelin se tourne donc vers Euphrosine et la demande de reconnaître la véracité du portrait établi par Cléanthis en échange d’une libération plus rapide. Ce qu’Euphrosine accepte après quelques hésitations.
Scène 5
Trivelin invite ensuite Arlequin à caricaturer son ancien maître. Heureux d’avoir retrouvé sa liberté, il ne désire pas se venger d’Iphicrate. Cependant, avec l’esprit à la fête et en étant légèrement ivre, il accepte de se plier au jeu de Trivelin et dresse alors un portrait satirique d’un ridicule.
Espérant retrouver rapidement son ancien statut de maître, le jeune homme admet la justesse de ce portrait.
Scène 6
Arlequin et Cléanthis souhaitent incarner leur rôle de maîtres en s’essayant à la séduction de la manière des aristocrates. Toutefois, leurs discours galants tournent à la parodie de la galanterie.
Arlequin prohibe l’hypocrisie mondaine : « Nous sommes aussi bouffons que nos patrons ; mais nous sommes plus sages ». Un chassé-croisé social et amoureux voit alors le jour :Arlequin demande à Cléanthis d’arranger son union avec Euphrosine alors que Cléanthis demande son union avec Iphicrate.
Scène 7
Jouant désormais le rôle de maîtresse, Cléanthis révèle à sa soubrette sa décision de la relier à Arlequin, un homme au cœur sincère, simple et dont l’honnêteté s’oppose grandement à l’hypocrisie mondaine. Choquée, Euphrosine se rebelle contre une telle décision, mais en vain.
Scène 8
Malgré tout, Arlequin tente grossièrement de séduire Euphrosine, ce qui crée un contraste plaisant entre son tout nouveau statut de maître et son langage populaire : « c’est que je vous aime, et je ne sais comment vous le dire ».
Accablée, la jeune femme le demande à la laisser en paix : « Ne persécute point une infortunée, parce que tu peux la persécuter impunément ». Touché, Arlequin accepte sa demande.
Scène 9
Comme prévu, c’est au tour d’Arlequin d’exhorter Iphicrate à séduire Cléanthis. Outré par cette instance, le jeune homme proteste et invoque le lien d’amitié qui unissait le maître et l’esclave.Sidéré, Arlequin le rappelle alors à son égoïsme passé : « Tu veux que je partage ton affliction, et jamais tu n’as partagé la mienne ».
Prenant conscience de son comportement agressif, l’ancien maître reconnaît ses torts et promet d’adopter une attitude généreuse et plus humaine envers ses semblables. Arlequin lui pardonne et accepte sa demande de libération, soulignant sa supériorité morale :« moi, je n’aurai point le courage d’être heureux à tes dépens ».
Iphicrate confesse ensuite : « je ne méritais pas d’être ton maître ».
Scène 10
Apprenant la décision d’Arlequin, Cléanthis s’étonne du revirement soudain de situation. En outre, celui-ci l’invite à l’imiter, parce qu’il pense que les maîtres se sont remis en question. Mais pour sa part, elle n’est pas prête à pardonner à Euphrosine, pas plus qu’à reprendre son rôle de soubrette.
Mais Arlequin l’encourage à accorder son pardon à son ancienne maîtresse et son bon cœur l’incite à accepter. Elle ne désire pas imposer la même souffrance dont elle a été victime à d’autres. « Si vous m’avez fait souffrir, tant pis pour vous, je ne veux pas avoir à me reprocher la même chose, je vous rends la liberté ».
Euphrosine lui répond comme à une égale.
Scène 11
Trivelin est heureux, puisque la « paix est conclue, la vertu a arrangé tout cela ». Sa tirade finale dépeint avec philosophie la différence de conditions comme épreuve. Les esclaves ont pardonné à leurs maîtres et ceux-ci sont devenus beaucoup plus humains. Réconciliés et étant devenus amis, tous les quatre reprennent le chemin d’Athènes.
Les personnages de L’Île des esclaves
Les principaux personnages de la pièce sont au nombre de 5 : 3 d’entre eux portent des noms grecs, alors que 2 autres sont issus de la « commedia dell’arte ».
Arlequin
C’est un personnage célèbre de la commedia dell’arte : familier, naïf et bouffon paresseux. Parfois, on le représente avec une bouteille à la main et un manteau coloré. À cause de ses attributs, le public sait qu’il ne faut pas prendre en considération ses paroles.
Dans cette pièce, il est l’esclave d’Iphicrate et devient, au même titre que Cléanthis, maître. Certes, il profite pleinement de son nouveau statut de maître, mais se montre peu rancunier envers Iphicrate. Étant un électron libre du théâtre, pour qui rien ne porte à conséquence, il retourne hâtivement à son ancien statut d’esclave.
Iphicrate
Iphicrate est un nom grec qui se traduit par « celui qui gouverne par la force ». Ce qui renvoie le public à un ordre social ainsi qu’à son rapport à Arlequin. Sa chute sociale est caractérisée par la perte de ses habits de maître et de son épée.
Dans le portrait que réalise Arlequin sur son maître, on peut retrouver les mœurs du XVIIIe siècle : les vêtements, les allusions aux pratiques de la mondanité et les rapports entre valet et maître.
Cléanthis
L’esclave d’Euphrosine est vivement animée par une soif de vengeance envers son ancienne maîtresse. Plus profond qu’Arlequin, ce personnage dévoile la dure condition des esclaves et des domestiques au XVIIIe siècle.Devant sa soif, Trivelin doit la modérer. Elle ne rendra son statut de maître que sous l’influence d’Arlequin.
Euphrosine
En grec, ce nom signifie « à l’humeur heureuse » ou encore « la bienveillante ». Cette maîtresse de Cléanthis paraît telle une femme pleine de manières, minaudière et coquette. Elle refuse les paroles de son esclave à son sujet et ne désire pas avouer ses défauts à Trivelin. Narcissique, elle se fie surtout à l’apparence. Par ailleurs, elle se révèle cruelle envers Cléanthis qu’elle accable de quolibets.
Trivelin
Cet habitant de l’île des esclaves est chargé de faire respecter la loi aux nouveaux arrivants.Étant également un personnage de la commedia dell’arte, il procède comme metteur en scène, répartissant les rôles ainsi que les costumes aux autres personnages. Son objectif est de donner une leçon d’humanité aux maîtres en les invitant à reconnaître leurs torts et à s’améliorer.
Analyse de l’œuvre de Marivaux
Entre fantaisie et fable contestataire qui relèvent du carnavalesque, cette œuvre de Marivaux bouscule indéniablement l’ordre établi. Ainsi, l’auteur pointe les travers de son époque et analyse sous un jour nouveau tous les rapports de servitude. Attention, il ne s’agit tout de même pas d’une pièce politique. Certes, L’Île des esclaves invite à une réflexion autour des positions sociales, cependant, chacun des personnages réintègre son statut à la fin de l’intrigue. Tout finit par rentrer dans l’ordre, puisque les esclaves ont dévoilé qu’ils n’avaient pas réellement les qualités et l’étoffe des maîtres. Ce qui justifie l’existence d’une telle hiérarchie et insuffle même l’impossibilité d’une société basée sur l’égalité entre ses membres.
Le burlesque et la dénonciation sociale
Cette œuvre trouve son inspiration dans la tradition populaire du Carnaval. Très ancienne, cette fête repose sur le concept de travestissement : chaque participant se masque, se déguise et fait la fête sans considérer la position sociale des autres. Les rôles sociaux sont échangés le temps des célébrations.
Cette situation suscite le rire, puisqu’elle empêche le maître de profiter de ses droits et de dominer la société. Il est donc subversif et libérateur. On peut découvrir quelques soupçons de satire dans cette pièce de Marivaux.
L’auteur dénonce également la cruauté des maîtres à l’égard de leurs esclaves. Ces derniers sont victimes de coups de bâton ou encore d’insultes. Le renversement des rôles aide les maîtres à prendre conscience des conditions difficiles de ceux qui sont à leur service, tout en proposant de corriger la tyrannie des riches qui s’exerce sur les plus faibles.
Encourager une société charitable
Marivaux vient prôner un adoucissement des mœurs, une société beaucoup plus charitable. Néanmoins, cet adoucissement va dans les deux sens. Effectivement, Arlequin, devenu maître, se contente de pouvoir battre son ancien maître. Il est animé d’une grande violence vengeresse. Pourtant, Trivelin tempère une telle violence : « Doucement, point de vengeance ». Il encourage même Arlequin et Cléanthis à pardonner à leurs anciens maîtres.
L’auteur ne donne donc pas un exutoire où les esclaves se vengent de leurs maîtres. Loin d’inciter à renverser l’ordre social, il propose plutôt un adoucissement des rapports sociaux.
Ce résumé est de qualité. Il reprend les idées narratives et dramatiques essentielles de l’oeuvre. Très bonne qualité orthographique et syntaxique. Bravo !