Publiée en 1888 pour la première fois, Le Prince heureux (The Happyépoque Prince en anglais) est une nouvelle écrite par Oscar Wilde, un auteur irlandais. Découvrons cette œuvre du 19ème siècle qui reflète certaines préoccupations sociales et morales de l’époque victorienne, en abordant des thèmes tels que la charité, la compassion et la justice sociale.
Résumé détaillé de Le Prince heureux d’Oscar Wilde
Un hirondeau a choisi de rester en ville plutôt que de partir en Egypte avec ses amis pour profiter pleinement de son amour avec une flèche d’eau, malgré les avertissements des autres oiseaux. Leur idylle amoureuse a duré jusqu’à l’automne et très vite, l’hirondelle s’est senti triste, d’autant plus que la flèche d’eau ne voulait pas l’accompagner jusqu’en Egypte. Avant de parcourir un long chemin, il a décidé de se reposer sur la statue du Prince Heureux. Alors qu’il était bien installé, il a senti des gouttes lui tomber dessus. Chose étrange étant donné que le ciel ne comportait aucun nuage. Au moment où il s’apprêtait à trouver un autre refuge, il s’est aperçu que ces gouttes provenaient des yeux de la statue.
Cette dernière lui expliqua qu’elle avait vécu heureuse dans un palais sans souci. Mais maintenant qu’elle était morte et érigée en statue, elle pouvait voir toute la pauvreté et la tristesse de la ville. Elle demanda à l’hirondelle de prendre un rubis de son épée et de le donner à une pauvre couturière dont le fils était malade. Bien que l’hirondelle fût réticent, pressé de rejoindre ses amis en Egypte, il accepta d’être le messager pour le Prince Heureux, le temps d’une nuit. En prenant le rubis, l’hirondeau s’envola au-dessus de la ville et en revenant, il se sentit tout chaud. La statue lui fit comprendre que cette sensation était due à sa bonne action.
Le lendemain, l’hirondelle profita pleinement de sa journée. En se baignant dans la rivière, il fut surpris par un Professeur d’Ornithologie qui, étonné de voir une hirondelle en hiver, décida d’écrire dans le journal local. Le soir venu, l’hirondelle fit savoir à la statue qu’elle partait pour l’Egypte. Cette dernière lui demanda de rester une nuit de plus afin d’apporter un de ses yeux en saphir à un jeune dramaturge qui n’arrivait pas à finir sa pièce en raison du froid et de la faim. L’hirondelle ne voulait pas arracher l’œil de la statue, mais il s’exécuta quand il vit que le Prince Heureux se mit à pleurer.
La nuit suivante, le Prince Heureux demanda une nouvelle fois à l’hirondelle de rester auprès de lui. Celui-ci ne voulait pas étant donné que la neige allait bientôt arriver. Il lui promit de revenir et de remplacer les bijoux. La statue ne l’écouta pas et lui montra une jeune marchande d’allumette qui eut le malheur de faire tomber ses produits dans le ruisseau. Conscient qu’elle risquait de se faire battre par son père pour sa méprise, la statue demanda à l’hirondelle de lui arracher son autre œil pour le donner à la jeune fille. L’hirondelle s’exécuta et en revenant déclara à la statue qu’elle comptait rester auprès d’elle étant donné qu’elle était aveugle.
Le lendemain, l’Hirondelle raconta des histoires merveilleuses de terres lointaines. Mais le Prince Heureux était plus intéressé par la souffrance des hommes. Il demanda à l’Hirondelle de survoler sa ville pour voir ce qui s’y passait. L’Hirondelle vit la misère et le fit savoir au Prince Heureux qui demanda à l’Hirondelle de lui retirer toutes ses feuilles d’or pour les donner aux pauvres afin de voir les gens de la ville heureux. Celui-ci s’exécuta.
Un hiver rude s’installa dans la ville et l’Hirondelle resta auprès du Prince Heureux malgré le froid et la faim. L’oiseau finit par mourir et le cœur de plomb du Prince Heureux se brisa. En voyant la mine affreuse de la statue, dépourvue de tout ce qui faisait sa noblesse, le maire décida de démolir la statue du Prince Heureux pour en faire une autre. Il fut impossible de fondre le cœur de plomb du Prince Heureux. On le jeta sur un tas de poussière près de l’oiseau mort. Dieu envoya un de ses Anges récupérer les deux objets les plus précieux de la ville et celui-ci amena le corps de l’oiseau mort et le cœur de plomb du Prince Heureux. Ainsi, le “petit oiseau chantera à jamais, et dans [sa] ville d’or le Prince Heureux [le] louera.“
Présentation des personnages
- Le Prince Heureux Le Prince Heureux est à l’effigie d’un prince qui a vécu dans un palais à l’abri de la souffrance et de la misère. Préservé de la souffrance d’autrui de son vivant, il la découvre à sa mort lorsque l’on érige sa statue pour surplomber la ville. En découvrant la souffrance de la population, le Prince Heureux devient malheureux. Il a conscience qu’il pourrait subvenir à leurs besoins. D’autant plus que ses yeux sont constitués de saphirs, que le pommeau de son épée est ornée d’un rubis et qu’il est recouvert de feuilles d’or. Toutefois, étant figé, il lui est impossible de faire quoi que ce soit. Bien qu’il soit admiré par les gens de la ville, il a conscience qu’il n’a rien fait de son vivant pour mériter cela. Impuissant pour faire changer les choses, le Prince Heureux passe son temps à pleurer. Un Hirondeau (ou un martinet selon les versions) s’en aperçoit et accepte de lui venir en aide. Le Prince Heureux va se déposséder de tout ce qui fait sa beauté pour le donner à ceux qui en ont le plus besoin, perdant ainsi tout intérêt aux yeux des habitants. La mort de l’Hirondelle va achever la fin du Prince Heureux étant donné que son cœur va se briser. On décide de le remplacer toutefois, son cœur de plomb ne fondera pas. Ceci illustre la pureté du cœur que le Prince Heureux atteint en accomplissant toutes ces bonnes actions, ce qui lui vaut une place privilégiée au Paradis.
- L’Hirondelle (ou le Martinet selon les versions) est un oiseau migrateur qui a refusé de rejoindre ses semblables en Egypte pour jouir de son idylle amoureuse avec une flèche d’eau (un roseau dans d’autres versions). Toutefois, celle-ci est trop attachée à son élément pour le suivre jusqu’en Egypte. De surcroît, il la trouve un peu trop coquette étant donné qu’elle se laisse courtiser par le vent. L’Hirondelle décide donc de partir seul pour l’Egypte afin d’échapper au froid de l’hiver. En arrivant dans la ville, il choisit de faire une halte sur la statue du Prince Heureux pour se reposer. Il se rend compte que celui-ci est malheureux et accepte de rester pour la nuit ainsi que la nuit suivante et la nuit d’après pour l’aider à améliorer les conditions de vie des habitants de la ville. Lié au Prince Heureux, il refusera de le laisser une fois aveugle et finit par succomber au froid de l’hiver. L’Hirondelle qui, à la base de la nouvelle, est assez égocentrique finit par être transformée par ces expériences avec le Prince Heureux. Une solide amitié naît entre ces deux personnages. Le corps de l’Hirondelle est jugé comme l’une des choses les plus précieuses de la ville. Il est ramené au Paradis afin qu’il puisse chanter à tout jamais.
- Le petit garçon malade vit avec sa mère qui est une pauvre couturière. Cette famille n’a pas assez d’argent pour acheter de la nourriture et des médicaments.
- Le jeune dramaturge prend du retard sur l’écriture de sa pièce de théâtre en raison du froid et de la faim.
- La petite fille aux allumettes vit dans la pauvreté et vend des allumettes dans la rue pour subvenir aux besoins de sa famille. Un jour, elle perd toutes ses allumettes à cause du vent. Ces dernières tombent dans le ruisseau. Le Prince Heureux décide de l’aider pour qu’elle ne se fasse pas battre par son père.
- Le maire et les conseillers municipaux sont les représentants de l’autorité. Ils sont indifférents face à la souffrance de leurs citoyens. En s’apercevant que la statue du Prince Heureux a perdu sa valeur, ils décident de la faire fondre et de la remplacer par une statue d’eux-mêmes. Très égocentriques, ils se disputent pour savoir qui aura la chance d’avoir une statue à son effigie.
Analyse de l’oeuvre
Le Prince Heureux, une nouvelle sous forme de conte
Le Prince Heureux est-il un conte ?
Le Petit Robert définit le conte comme un “Récit de faits, d’aventures imaginaires, destiné à distraire.“. Un conte prend place dans un cadre spatio-temporel indéfini dans lequel les héros se retrouvent dans un monde imaginaire où le surnaturel peut être présent. Les contes visent généralement à apporter une morale.
La nouvelle Le Prince heureux d’Oscar Wilde peut être considérée comme un conte en raison de plusieurs éléments caractéristiques de ce genre littéraire.
Comme la plupart des contes, Le Prince Heureux prend place dans un cadre spatio-temporel indéfini. La structure narrative se concentre sur les aventures de la statue du Prince heureux et du petit Hirondeau (Martinet ou Hirondelle).
Le conte met en scène des personnages typiques des contes, tels que le Prince heureux, qui représente une figure noble et bienveillante, et la petite hirondelle, qui incarne l’amitié et la loyauté. Bien que la vision manichéenne n’est pas clairement délimitée dans la nouvelle, on peut opposer le Prince heureux et l’hirondelle (le bien) au maire avec les conseillers municipaux (le mal).
Les éléments fantastiques du “Prince Heureux” sont symbolisés par :
- La statue dans laquelle s’est incarné le prince heureux. Celui-ci est capable de voir la souffrance du monde et de parler avec l’Hirondelle.
- L’hirondelle qui peut parler à la statue et réaliser les tâches qu’ils lui demandent de réaliser.
Le Prince heureux délivre une leçon de vie dans laquelle il met en lumière l’importance d’aider les autres et de chercher le bonheur en faisant le bien plutôt qu’en accumulant des richesses matérielles.
Le schéma narratif de la nouvelle
Situation initiale | Le Prince heureux est une statue en or, ornée de pierres précieuses, qui surplombe la ville. Une hirondelle en migration s’arrête pour se reposer sur la statue. |
Élément déclencheur | L’hirondelle découvre que le Prince heureux pleure car il voit la misère de son peuple. Le Prince demande à l’hirondelle de l’aider à soulager la souffrance des habitants. |
Péripéties |
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Dénouement | La statue du Prince heureux est détruite et on la fait fondre pour en créer une autre. |
Situation finale | L’ange présente le cœur du Prince et l’hirondelle à Dieu et ce dernier décide de les emmener au paradis pour les récompenser. |
Les thématiques abordées
- Le sacrifice et l’altruisme : Le Prince Heureux est une statue couverte de feuilles d’or et de pierres précieuses (un rubis au niveau du pommeau de l’épée et deux saphirs en guise de yeux). Il réalise la misère et la souffrance des habitants de la ville lorsqu’il s’incarne dans une statue à son effigie. Toutefois, il est figé et ne peut rien faire. Grâce à l’aide de l’hirondelle, le Prince Heureux va pouvoir distribuer ses richesses aux plus démunis, sacrifiant ainsi sa propre beauté et valeur. Ici, Wild met en lumière l’importance du don de soi.
- L’amitié : Dès le début de la nouvelle, l’hirondelle a l’intention de rejoindre ses congénères en Egypte. Néanmoins, il consent à rester auprès de la statue pour l’aider à améliorer les conditions de vie des habitants de la ville. Progressivement, une amitié sincère et solide va prendre forme entre ces deux personnages, basée sur l’entraide et la compassion. La statue n’ayant plus d’yeux, l’hirondelle refuse de partir afin de “prêter” sa vue à son nouvel ami. Ensemble, ils s’inscrivent dans une quête de justice sociale.
- Les inégalités sociales : Le conte met en évidence les inégalités économiques et sociales entre les riches et les pauvres. Le Prince Heureux, qui vivait autrefois dans son palais isolé, en ignorant la misère du peuple, prend conscience de la souffrance des habitants de sa ville après avoir été transformé en statue. Cependant, les autorités municipales ne font rien pour remédier à cette situation, car elles sont trop occupées à discuter de la construction de statues en leur propre honneur. Cette rivalité politique entre les élites locales ne fait que renforcer les inégalités et ignorer les besoins du peuple qui continue de souffrir.
- La critique de la société : Dans son œuvre, Wilde critique les valeurs superficielles et matérialistes de la société victorienne de son époque. La statue, admirée pour son apparence extérieure, ne parvient pas à trouver le bonheur tant qu’elle ne se dépouille pas de tous ses biens matériels.
- La compassion et l’empathie : Le Prince Heureux est guidé par l’empathie envers les souffrants et son désir d’aider les autres, toutefois, il lui est impossible de mener à bien sa mission. L’hirondelle, quant à elle, commence par exécuter les ordres du Prince Heureux, mais très vite, elle fait preuve d’empathie. Cette transformation sera d’autant plus visible lorsqu’elle devra décrire ce qui se passe dans la ville à son ami, dépourvu de yeux.
La Rédemption du Prince Heureux
De son vivant, le Prince Heureux est issu de l’aristocratie. Il jouit d’une richesse considérable et vit dans un monde édulcoré où la souffrance et la misère n’ont pas leur place. Son palais fait office de tour d’ivoire, où il passe le plus clair de son temps sans se rendre compte que son peuple souffre. On ne peut pas prétendre qu’il occulte la misère, puisqu’il n’en a pas connaissance. Il vit simplement dans l’insouciance.
À sa mort, une statue à son effigie est érigée et le Prince Heureux s’y incarne. C’est alors qu’il sort pour la première fois de sa tour d’ivoire et est installé de manière à surplomber la ville. C’est à ce moment qu’il prend conscience de l’hypocrisie de sa vie. Lui qui est idolâtré par les habitants, il se rend compte qu’il n’a rien fait pour améliorer leur condition de vie. On peut supposer qu’il y a ici une sorte de châtiment divin où le Prince Heureux est contraint de regarder son peuple souffrir jusqu’à la fin des temps, sans pouvoir agir étant donné qu’il n’est plus qu’un être figé. Il ne peut qu’observer la ville et faire preuve d’empathie en souffrant avec les gens de la ville.
La rédemption du Prince Heureux est possible grâce à l’hirondelle qui accepte d’être ses “bras”. Cette dernière exécute ses ordres pour améliorer la condition de vie des habitants de la ville. Une amitié naît entre ces deux personnages autour de la compassion, du don de soi et de la générosité. Ainsi, le Prince Heureux rachète ses fautes et peut enfin accéder au paradis, tout comme l’hirondelle qui finit par mourir à ses pieds.
Une mort symbolique
La mort de l’hirondelle est symbolique dans la mesure où elle fend le cœur de plomb de la statue du Prince Heureux. On peut y voir différentes interprétations. Dans un premier temps, il est intéressant de noter la signification d'”avoir un cœur de plomb“, cela implique que l’on ressent un poids émotionnel très lourd suite à la perte d’un proche, une déception ou une situation difficile. Pour le cas de la statue du Prince Heureux, on peut noter le contraste entre son nom et son état émotionnel. En effet, la statue du Prince Heureux est “malheureuse”. Elle se sent triste de ne pouvoir rien faire pour les gens de son peuple. Par la suite, la mort de l’hirondelle devrait causer plus de dégât sur son cœur de plomb, au point de s’alourdir et pourtant, dans cette nouvelle, le cœur de la statue du Prince Heureux se fissure. Si on peut y lire toute la souffrance que cette mort procure à la statue, on peut également interpréter cette fissure comme une transformation proche de l’alchimie. Grâce à ses bonnes actions, le Prince heureux voit son cœur de plomb se transformer en cœur d’or pur ce qui montre pourquoi ce cœur ne peut pas être fondu.