De son titre original The Witches, Sacrées Sorcières est un roman pour enfants écrit par l’auteur britannique Roald Dahl, illustré par Quentin Blake et publié en 1983. C’est l’année suivante, en 1984, que l’œuvre est traduite et publiée en France aux éditions Gallimard, avant de connaître plusieurs rééditions avec des suppléments.
Le livre n’est certainement pas un conte de fées, mais plutôt une histoire de vraies sorcières. On ne décèle ni manches à balai ni horribles chapeaux noirs : « la vérité est beaucoup plus épouvantable » !
Résumé du livre
Sacrées Sorcières, c’est l’histoire d’un petit garçon de sept ans qui vit seul avec sa grand-mère depuis la mort de ses parents dans un accident en Norvège. Une grand-mère plutôt excentrique qui passe son temps à fumer des cigares et qui avoue à son petit-fils que les sorcières existent réellement. En effet, la vieille dame lui relate qu’elle a connu cinq enfants qui ont disparu à cause de ces êtres démoniaques. Elle lui dit de faire très attention et lui révèle certains détails afin de reconnaître immédiatement une sorcière : « Une sorcière ressemble à n’importe quelle femme, mais elle porte toujours des gants parce qu’elle n’a pas d’ongles, mais des griffes. Ensuite une sorcière est toujours chauve, mais elle porte une perruque et se gratte la tête ! Et les sorcières ont de grosses narines pour pouvoir mieux sentir. »
Si on croise une dame qui se bouche le nez, qui porte des gants et qui a de grosses narines… Alors la seule chose à faire est de fuir le plus loin possible. La pupille d’une sorcière n’est pas noire, mais plutôt colorée et on y voit danser des glaçons et des flammes. De quoi donner des frissons !
En ce qui concerne leurs pieds, ils sont très spéciaux. Ces créatures démoniaques ont des bouts de pieds carrés, sans orteils. Pour la salive, elle est de couleur bleue. Ceux qui étudient les sorcières sont appelés sorcièrologues.
D’habitude, pendant les vacances, la famille du petit-garçon part en Norvège, mais la grand-mère tombe malade et désire se retrouver à la mer pour se reposer. Ils partent donc en Angleterre.
Dans leur hôtel luxueux, une centaine d’enchanteresses, habillées avec élégance, se camouflent sous le nom de la Société Royale pour la Protection de l’Enfant Persécuté. Mais bien sûr, les sorcières n’ont qu’un seul et unique objectif, c’est d’éliminer tous les enfants qu’elles détestent.
L’orphelin se méfie tout de suite de leur présidente, surtout de son regard noir. Il comprend alors que ce sont d’horribles sorcières et qu’elles prévoient de transformer tous les enfants en souris. Un jour, le petit héros se retrouve, malgré lui, caché dans une salle où les créatures démoniaques organisent leur congrès annuel et les choses risquent de mal tourner. Il entend des bruits de pas et de bavardages de femmes. Lorsque ces dernières sont assises dans la pièce, l’une d’elles monte sur l’estrade et dit : « Enlevez vos gants, enlevez vos chaussures, enlevez vos perruques ! ».
Il reconnait immédiatement les sorcières, car elles correspondent aux descriptions faites par sa grand-mère. La femme sur l’estrade n’est autre que la Grandissime Sorcière, la chef de toutes les sorcières du monde. En s’adressant à ses consœurs, elle dit : « J’ai enfin trouvé une potion qui pourra changer tous les enfants en souris ». Les autres approuvent sans hésitation et hurlent de joie.
Réussiront-elles à faire disparaître tous les enfants d’Angleterre ?
Le petit garçon finit par être découvert et les sorcières le transforment en souris. Pour se venger et empêcher les enchanteresses d’atteindre leur objectif, il se faufile dans la cuisine et verse de la potion dans la marmite. Toutes les sorcières se transforment à leur tour en souris.
Le petit orphelin et sa grand-mère rentrent chez eux, mais malheureusement, il reste une souris pour toujours.
Les personnages principaux du livre
Le garçon de sept ans
Dans cette histoire, le nom de l’enfant est inconnu et l’auteur ne lui donne que des surnoms. Le petit héros est un garçon de sept ans qui perd ses parents dans un accident de voiture. Adopté par sa grand-mère norvégienne, il apprend beaucoup de choses sur les sorcières. On le dépeint comme un personnage curieux, courageux, astucieux et débrouillard.
En lien avec les histoires de sa grand-mère, il va alors vivre de nombreuses aventures et déjouer le complot de la Grandissime Sorcière. Pendant qu’il se trouve dans la pièce du congrès des sorcières, sans le savoir, afin de dresser ses deux souris blanches, Mary et William, il va être transformé en un petit souriceau. Mais ne ce sera décidément pas pour lui déplaire et sa nouvelle apparence lui servira fortement dans ses aventures.
La grand-mère
Un peu « fofolle » avec ses exagérations et ses cheveux violets, la grand-mère est un personnage adorable, mais terriblement rusé. Cette vieille sorcièrologue est à un âge avancé, mais elle a beaucoup de ressource et est très énergique. Elle est toute petite, avec de gros culs de bouteilles, terriblement têtue et accro à la cigarette.
Les sorcières
Dans son roman, l’auteur fait un portrait très précis de ce que sont véritablement les sorcières. La réalité est nettement moins folklorique et plus inquiétante : ce sont toujours des femmes (il n’existe pas de sorciers) et elles sont pratiquement impossibles à identifier dans une foule. Leur maison, leur profession et leur vie sont en tout point semblables aux nôtres. Néanmoins, il existe quelques signes qui peuvent permettre de les identifier, bien que la méthode ne soit pas infaillible, et il vaut mieux les connaître, parce que les sorcières n’ont qu’un objectif : c’est d’éliminer tous les enfants. « D’abord, dit-elle, une sorcière porte des gants. (…) Veux-tu savoir pourquoi ? – Bien sûr, répondis-je. – Parce qu’une sorcière n’a pas d’ongles. Elle a des griffes, comme un chat, et elle porte des gants pour les cacher. Ensuite, une sorcière est toujours chauve. – Chauve ! m’exclamai-je. – Chauve comme un œuf, poursuivit Grand-mère. Aucun cheveu ne pousse sur la tête d’une sorcière. »
Analyse de l’œuvre
Sacrées Sorcières : un véritable roman d’apprentissage
« À huit ans, j’avais déjà rencontré deux fois des sorcières. La première fois, je m’en étais tiré sain et sauf. J’eus moins de chance la deuxième fois. Lorsque vous lirez ce qui m’arriva, vous pousserez, sans doute, des cris d’effroi. Mais il faut dire toute la vérité, même si elle est horrible. Enfin, je vis toujours, et je peux vous parler (même si je ne suis plus… ce que j’étais !), et cela, je le dois à ma merveilleuse grand-mère ». Voilà l’entrée en fiction que l’auteur propose à ses jeunes lecteurs.
La lecture induite par ce véritable début de la narration peut être déterminée comme la lutte de deux stratégies différentes : la stratégie de séduction menée par Roald Dahl sous la guise d’un narrateur plus ou moins fiable et la stratégie de suspicion menée par le lecteur vigilant. D’une part, le narrateur-personnage promet la vérité à son lecteur qui doit volontairement croire aux sorcières, mais d’autre part, le lecteur demeure en alerte, car l’identité du narrateur est explicitement problématisée dans la parenthèse.
En réalité, l’enjeu d’un tel travail de confrontation sera de dégager en quoi l’identification avec le petit héros permet au lecteur de construire sa propre identité, sans tomber dans le donquichottisme ou dans le bovarysme. Il s’agit notamment de montrer « comment les expériences de la pensée suscitées par la fiction contribuent (…) à l’examen de soi-même dans la vie réelle ».
Parmi toutes les fictions littéraires, le roman d’apprentissage met le plus à l’épreuve l’identité narrative, puisque l’intrigue est mise au service du personnage, comme peut tout à fait être l’exploitation pédagogique de Sacrées Sorcières. Dans ce livre, l’identité narrative du petit garçon est mise à rude épreuve et la variation imaginative que la métamorphose permet d’opérer se déploie dans l’histoire tout entière, construisant ainsi le caractère du personnage principal de manière progressive.
Le lecteur apprend que l’identité de l’homme est double, car elle se compose d’âme et de corps. Par ailleurs, la grand-mère définit son petit-fils par le terme « souriceau-enfant », tandis que Bruno, jeune garçon boulimique qui a également été transformé en souris, semble être réduit à sa condition corporelle. La surprise du héros face à sa transformation reprend donc un mythe anthropogonique selon lequel l’être humain est incompréhensible à lui-même.
L’inspiration de Roald Dahl
Roald Dahl n’hésite pas à piocher dans de multiples éléments afin de créer ses histoires. Dans Sacrées Sorcières, il s’appuie sur les nombreux contes et légendes traitant des sorcières et autres créatures fantastiques pour planter son décor. Dans le récit, la grand-mère est norvégienne et connaît énormément de choses sur les sorcières. Par ailleurs, il y est dit que les premières sorcières viendraient de Norvège. Justement, les parents de Roald Dahl étaient norvégiens et, enfant, il passait ses vacances d’été dans la famille de sa mère en Norvège, d’où il a préservé de beaux souvenirs. L’auteur se serait donc servi de son vécu afin de concevoir une trame à ses histoires.
Certains éléments du livre font également référence à des mythes folkloriques ou à des romans célèbres comme l’Odyssée d’Homère. C’est ainsi que la métamorphose de notre petit héros en souriceau et les nombreux sorts que subissent les enfants peuvent être comparés à la métamorphose que subissent les amis d’Ulysse quand ils échouent sur l’île de Circée, à la recherche de nourriture.
Un univers fantastique
On peut dire que l’univers de Roald Dahl est réaliste et fait penser au nôtre, mais quelques éléments le font pencher vers le merveilleux, d’où le registre fantastique. L’affirmation de la grand-mère sur l’existence des sorcières vient faire plonger l’histoire dans le fantastique. La description qu’elle en donne fait immédiatement penser aux contes. Par exemple, la couleur de leurs yeux rappelle les éléments naturels et avec eux le folklore des mythes.
L’écrivain prend un malin plaisir à jouer avec un tel registre et le doute qu’il implique. L’effet recherché chez les lecteurs est une oscillation entre son adhésion et une possibilité de prendre du recul sur ce qui est relaté, entre la réalité et la plongée dans le merveilleux.
L’humour au rendez-vous
En tout cas, Roald Dahl utilise une large palette de comiques qui rendent ses récits très accrocheurs et singulièrement agréables à lire pour les petits lecteurs dont l’attention n’est jamais simple à saisir. L’auteur aime aussi jouer avec la langue : il s’amuse avec les mots, les phrases et la ponctuation. Le langage est parsemé d’expression « rigolotes » et de jeux avec les mots tant de la grand-mère (« Que des vieux croutons ! ») que des sorcières (« Alors mon bichon, on joue aux espions »).
Ainsi, le récit est visuellement très riche, de par ses changements d’écriture (en italique) ainsi que sa ponctuation prononcée avec un usage démesuré de points d’interrogation ou d’exclamation. Certains mots sont répétés afin d’apporter une dimension comique à la situation ou de concevoir une impression de ridicule, d’autres mots sont, quant à eux, inventés par l’auteur au gré de ses envies et de ses besoins : sorcièrologue, fantabilissime… Les verbes utilisés sont forts et dénotent une certaine exubérance du propos. On constate donc une libération de la parole et un plaisir manifeste à jouer avec le verbe pour lui donner comique et amplitude.