Le conte Comment l’alphabet fut fait (How the Alphabet was Made) de Rudyard Kipling, un auteur britannique d’origine indienne, a été publié pour la première fois en 1902 dans son recueil Histoires comme ça (“Just So Stories” en version originale). Ce conte du XXème siècle est la suite du conte étiologique qui le précède dans l’ouvrage : Comment naquit la première lettre. Nous y retrouvons donc une fois de plus Taffy et son père Tegumai. Si certains ont salué l’imagination et l’inventivité de Kipling, d’autres ont critiqué la représentation stéréotypée des personnages préhistoriques, estimant que son conte manquait cruellement de diversité culturelle. Explorons comment l’alphabet a été créé dans le monde de Kipling.
Résumé détaillé du recueil Histoires Comme ça – “Comment l’alphabet fut fait” de Rudyard Kipling
Peu de temps après les aventures du conte Comment naquit la première lettre, Taffy retourna une fois de plus à la rivière Wagai avec son père. En se remémorant l’aventure qu’elle avait vécue avec l’étranger et les malentendus causés par son dessin, elle pensa qu’il serait utile d’avoir une équivalence en dessin pour chaque son afin de ne plus se tromper. Elle demanda à son père de produire un son et celui-ci émit un “Ah“. Cela ressembla à une carpe, alors ils dessinèrent “une bouche de carpe, tête en bas, avec un petit barbillon en travers” pour se souvenir du son. Son papa émit ensuite un autre son, “Yah“. Ils décidèrent de dessiner la queue de la carpe associée au dessin précédent pour reproduire le son. Son père dessina une queue dressée, et Taffy ajouta la partie fendue de la queue. Taffy dessina également un serpent siffleur pour représenter le bruit “Ssh !“. Ainsi, si son père dessinait ce genre de dessin, cela signifiait qu’il était en train de réfléchir.
En reproduisant les sons avec des dessins, Tegumai et sa fille créèrent un système de communication. Ils se mirent alors à créer des mots simples comme “eau“, “nourriture” ou “poteau” puis ils créèrent des phrases plus complexes comme “il va pleuvoir” (eau de pluie) ou “il a cessé de pleuvoir, à la rivière, viens.”. Enthousiasmés par leur découverte, ils décidèrent de s’arrêter là pour aujourd’hui et de rentrer car ils étaient fatigués.
Tegumai et Taffy passèrent la soirée à dessiner des images et à rire de leurs propres “dessins-sons” sur le mur de la grotte. La mère de Taffy réprimanda son mari pour son comportement idiot, mais Taffy promit de tout expliquer une fois qu’ils auraient terminé leur petit secret.
Le lendemain matin, Taffy trouva un dessin de “ya-las” sur la grande citerne de pierre devant la caverne, qui signifiait qu’elle devait aller chercher de l’eau. Elle estima que son père aurait pu lui dire de vive-voix plutôt que de lui faire des “dessins-son“. Elle remplit la citerne et retourna auprès de son père à la rivière wagai. Ils consacrèrent toute leur journée à dessiner tous les “dessins-sons” restants afin que l’alphabet néolithique soit enfin complet. Au fil du temps, cet alphabet devint l’alphabet que nous connaissons aujourd’hui.
Présentation des personnages
Tegumai, le père de Taffy, est en train de pêcher à la rivière Wagai lorsque sa fille lui propose de réaliser une sorte de “jeu dans lequel ils vont créer des dessins-sons. Au départ, Tegumai ne s’investit pas beaucoup, mais très vite, il se rend compte de l’importance de ces dessins-sons. Il s’applique alors et devient force de proposition. C’est également lui qui propose de mettre en pratique leur “dessin-son”, notamment lorsqu’il se met à pleuvoir ou pour envoyer sa fille chercher de l’eau.(pour plus d’informations sur ce personnage, cf : notre fiche de lecture sur Comment naquit la première lettre).
Taffy est la fille de Tegumai qui est parti rejoindre son père en toute discrétion pour éviter d’étendre les peaux sur les poteaux. Cette activité ménagère ne lui plait absolument pas. C’est une jeune fille créative qui est à l’origine de la création des “dessins-sons”. Elle invite son père à la suivre en le présentant comme un “jeu”. Elle commence à dessiner des sons mais, n’étant pas très douée pour le dessin, son père vient lui prêter main forte. (cf : notre fiche de lecture sur Comment naquit la première lettre pour plus d’informations sur ce personnage)
Teshumai, la mère de Taffy et épouse de Tegumai, joue un rôle très secondaire dans cette histoire. Elle incarne ceux qui, ne sachant ni lire ni écrire, se retrouvent mis de côté. Elle s’occupe essentiellement des tâches domestiques telles que la préparation des repas et l’étendage des peaux de bêtes sur des poteaux. (cf : notre fiche de lecture sur Comment naquit la première lettre pour plus d’informations sur ce personnage).
Analyse de l’oeuvre
Schéma narratif
Étape du schéma narratif | Événements de l’histoire |
---|---|
Situation initiale | Taffy est sortie en toute discretion pour rejoindre son père en train de pêcher et éviter l’étendage des peaux de bêtes. Elle se rappelle de l’aventure du dessin sur l’écorce de bouleau. (cf notre analyse sur le conte Comment naquit la première lettre |
Élément déclencheur | Taffy réfléchit à la possibilité de représenter chaque son par un dessin. |
Péripétie 1 | Taffy demande à son père de faire des sons et elle dessine soigneusement des signes stylisés pour chaque son de leur langue. Tegumai propose des idées et ils associent les signes pour former des mots et des phrases. Ils inventent en tout vingt-six “signes”. |
Péripétie 2 | Tegumai comprend l’importance de leur découverte qui risque de bouleverser l’Humanité. |
Péripétie 3 | Taffy et Tegumai continuent à développer leur système d’écriture. Tegumai la met en pratique comme lorsqu’il pleut ou quand il réalise un “dessin-son” pour envoyer sa fille chercher de l’eau. |
Situation finale | L’alphabet est né. Leur système d’écriture devient un ancêtre des lettres de l’alphabet utilisé aujourd’hui dans le monde entier. |
Un conte qui souligne la créativité et l’imagination humaine
Avec un style à la fois simple et humoristique, Kipling propose un dialogue mettant en scène Tegumai et sa fille Taffy qui tente d’inventer l’alphabet. Dans le conte Comment l’alphabet fut fait, l’auteur aborde des thématiques comme la créativité, l’ingéniosité et l’imagination pour créer des lettres à partir de l’observation.
En effet, Taffy et son père observent la manière dont le son se fait pour trouver une équivalence dans la nature afin qu’il puisse se rappeler à quoi ce “dessin-son” fait référence. Par exemple pour le bruit de “ah“, cela leur fait penser à la carpe. Taffy se met alors à dessiner “quelque chose qui ressemble à une bouche de carpe“. Toutefois, son père y ajoute “le barbillon” pour qu’ils soient sûrs qu’il s’agisse bel et bien d’une carpe et non d’un autre poisson. En effet, il serait préjudiciable qu’ils le confondent avec une truite.
De même pour le son “O” qui ressemble à un œuf et à un galet qu’il représente par un rond ou le son “Ssh” qui leur fait penser à un serpent. L’association des mots leur permet également d’être ingénieux en créant des combinaisons pleines de sens pour réaliser des phrases plus complexe. Ainsi, il réalise leur alphabet à partir de mot qu’ils ont déjà dans leur tribu comme “yo” qui veut dire l’eau mauvaise ou “so” pour la nourriture. Bien que très imaginé, ce dialogue vif entre Tegumai et sa fille, Taffy, invite le lecteur à comprendre l’importance de l’apprentissage et de la transmission des connaissances en la présence de Teshumai qui, ne comprenant pas ce qu’il se passe, se retrouve démunie. “Alors ils rentrèrent à la Caverne Néolithique et toute la soirée, son papa assis d’un côté du feu et Taffy assise de l’autre, ils dessinèrent des ya et des yo et des shu et des shi dans la suie sur le mur et rirent bêtement, tant et si bien que Maman finit par dire : “Vraiment Tegumai ! Tu es pire que ma Taffy !” ”
Il est important de noter que cette invention de l’alphabet reste invraisemblable dans la mesure où réaliser des sortes de dessins pour signifier les éléments autour de soi ne peut contenir que 26 signes. Ici, l’auteur réalise un clin d’œil à notre alphabet moderne. Toutefois, pour réaliser des “dessins-sons” en lien avec tout ce qui nous entoure, le travail serait colossal. D’ailleurs, c’est un problème majeur dans l’histoire de l’écriture. En effet, l’apprentissage de ces “dessins-sons“, symboles ou pictogrammes étaient fastidieux dans la mesure où il fallait mémoriser de très nombreux signes afin d’être compréhensible. C’est pour cette raison que les Phéniciens ont créé un alphabet composé de 22 consonnes pour disposer d’un système d’écriture moins complexe et plus facile à utiliser. Celui-ci a été utilisé par les Grecs et les Romains qui l’ont ensuite modifié au fil des siècles.
Les Autres Nouvelles du Recueil Histoires comme ça
Comment la baleine acquit son gosier
Comment le chameau acquit sa bosse
Comment le rhinocéros acquit sa peau
Comment le léopard acquit ses taches
L’enfant éléphant
La rengaine du père kangourou
La naissance des tatous
Comment naquit la première lettre
Le crabe qui jouait avec la mer
Le chat qui allait son chemin tout seul